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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Une femme fantastique (Una mujer fantástica)
/ 2016
12.07.2017
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LA PIEL QUE HABITO
« Va détruire une autre famille, espère de monstre ! »
Difficile de parler du nouveau film de Sebastian Lelio (à qui l’on doit Gloria, présenté en 2015 à Berlin) sans dévoiler la révélation qui intervient au bout d’une d’une bonne vingtaine de minutes : Marina, l’héroïne du film confrontée au décès de son compagnon plus âgé, et confrontée à la violence de sa famille, est une jeune femme transsexuelle. Si la famille du défunt la rejette, c’est donc moins par jalousie envers celle qui leur a volé un mari et un père que par refus de ce qu’elle représente.
Le sujet du film est alors sensiblement plus violent que ce qu’il semblait au départ, mais aussi plus moderne. Pour le réalisateur, c’est en effet l’occasion d’aborder de front l’intolérance et même la violence dont sont victimes les personnes transgenres à travers le monde. Ainsi, son héroïne est perpétuellement renvoyée à cette condition : ses interlocuteurs alternent les questions malsaines (ah, la fameuse obsession du mâle hétérosexuel sur l'avancement de "l'opération" !) et les réflexions glauques (l'ex-femme de son compagnon la traitant carrément de "chimère" - on vous épargne les insultes). La transphobie est ici terriblement palpable et banale, d'une facilité déconcertante, puisqu'elle s'adresse à un individu considéré comme fantomatique et sans consistance, puisqu’appartenant à deux mondes à la fois.
Marina, pourtant, ne s’écarte jamais de son combat : obtenir ce qui lui semble son droit le plus élémentaire, la possibilité de dire adieu au défunt et d'entamer son travail de deuil. Sebastian Lelio la filme symboliquement en train de marcher contre le vent, rien ne pouvant la faire dévier de sa trajectoire, et c'est l'impression que donne le personnage tout au long du film. Marina n'a rien d'une victime, et si elle est émouvante, c'est par sa capacité à ne pas baisser les bras. Une force de caractère qui passe par la persévérance et l'affirmation de soi plutôt que par la violence ou les cris. Car Marina ne supplie pas et ne demande pas de faveur. Elle ne s’excuse pas d’être elle-même. Elle réclame simplement le droit élémentaire d'être traitée en être humain. Comme n’importe qui.
On peut avoir des réserves sur le travail du cinéaste chilien, pas toujours subtil dans la démonstration, impossible toutefois de ne pas saluer l’importance vitale d’utiliser le cinéma pour aborder de tels sujets. Il transforme avec beaucoup de force la trajectoire intime de son personnage en un plaidoyer éminemment universel. Malgré ses maladresses et ses facilités de scénario, Une femme fantastique est ainsi un film indispensable qui parvient à faire acte de pédagogie sans être didactique. On peut aussi lui reconnaître un véritable talent dans la direction d’acteur. Dans le rôle de Marina, la comédienne Daniela Vega est d’une justesse sidérante, apportant au personnage cet inimitable mélange de doute et de certitude, de douleur et d’envie de vivre, qui fait d’elle un véritable personnage (complexe et ambivalent) et non un quelconque archétype transgenre, pour autant que cela veuille dire quelque chose. Finalement, tout ce que l’on voit à l’écran, c’est un être humain en pleine reconstruction après avoir été blessé par la vie, et qui pourrait être notre soeur, notre fille, ou simplement nous-même.
MpM
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