Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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La région sauvage (La region salvaje)


Mexique / 2016

19.07.2017
 



TOXIC AFFAIR





«- Il ne procure que du plaisir. Il n’a jamais blessé personne. »

Dès la première séquence, Amat Escalante nous invite à un voyage étrange, mystérieux, intrigant. Son cinéma passe le temps d’un prologue brumeux d’une mise en scène frontale, crue, et même cruelle, à une imagerie presque spectrale et poétique. La fluidité de ce passage tient à l’aspect fantastique qui relie un plan énigmatique, où ce que l’on croit être une simple masturbation d’une jolie femme se mue en rapport sexuel avec une « créature » indéfinissable, à un plan onirique où la femme s’avance dans un brouillard avec une tache de sang qui se répand au-dessus de la hanche.

Chez Escalante, le cinéma multiplie les significations et les interprétations. Derrière son propos très réaliste (un couple en voie de désintégration dans une ville provinciale mexicaine) et par delà le vernis fantastique (un monstre caché au fond de la forêt), le cinéaste revisite un conte comme La belle et la bête tout en signant une parabole du trafic de drogue qui sévit dans le pays. Pourtant, à première vue, on pourrait juste y voir une femme qui n’aime plus son mari et qui va avoir l’opportunité de le quitter et de s’en émanciper. Ce pourrait être une simple chronique sociale.

Mais la créature visqueuse bisexuelle et tentaculaire venue d’ailleurs, pénétrant dans les corps jusqu’à les tordre de plaisir, permettant des évasions orgasmiques uniques, n’est rien d’autre que l’incarnation d’une pieuvre bien plus néfaste, qui envahit les êtres jusqu’à les blesser ou les tuer, qui les rend individuellement « addict » au point de vouloir y revenir malgré les risques encourus… Le plaisir que l’on croit sexuel n’est rien d’autre que la sensation de sortir du réel pour atteindre une extase hallucinogène.

Troublant

Amat Escalante signe ici son film le moins violent physiquement mais peut-être le plus dérangeant psychologiquement. Ici nulle torture, nul baston assassine. Tout est dans la perversité de certaines décisions, dans les tourments individuels. Ses quatre personnages principaux sont piégés par un mal-être qui les ronge et que seul la bête parvient à soulager. Une junkie mélancolique, une épouse épuisée, son frère homosexuel et solitaire, hormis quand il s’envoie en l’air (sans pudeur) avec le mari, son beau frère, dans le déni, à la fois homo refoulé et fils soumis.

Dans ce monde d’apparences, où chacun doit afficher l’image qui correspond à son rôle, tous sont malheureux et traînent un mal-être que seule la drogue/la bête peut soulager. Formidablement contée, cette histoire sèche et presque naturaliste, qui évacue tout effet vaniteux et toute surenchère dramatique, est avant tout superbement mise en scène. A priori, tout semble simple et discret. Pourtant il suffit de voir ce plan presque majestueux et si bien maîtrisé qui commence sur un champ où broutent des chèvres pour passer au dessus d’un ruisseau où paraît baigner un corps nu et s’achever sur une ambulance qui arrive par un virage, pour comprendre en trente secondes ce qu’il veut nous dire et nous montrer. Aussi à l’aise avec son monstre qu’avec la colère étouffée ou les sentiments ravalés, le réalisateur filme de manière déconcertante ce récit qui mélange les genres, le réel et le symbolique, la vie urbaine et les splendides paysages.

Maîtrisé

Cette histoire, entre transe chamanique qui nous fait revenir à l’état primitif, et violence contemporaine où les morts s’accumulent à l’écart de tous, au fond d’un trou, est aussi particulièrement bien construite. Le film est particulièrement bien découpé, voulant à tout prix maintenir le spectateur dans cette aventure, en s’accrochant tour à tour à des ingrédients cinématographiques familiers (de l’enquête policière au mélo) et à un suspens invisible (les enjeux se révèlent au gré des scènes, la créature n’est dévoilée qu’après une bonne heure). Sous le signe du sang (au début et à la fin), cette fable psychanalytique met ainsi en miroir des gens sauvages c’est-à-dire violents à une région sauvage où la nature prime.

Après Los Bastardos et Heli, Amat Escalante emprunte une nouvelle route, toute aussi périlleuse et sinueuse, qui souligne sa singularité et liberté de style, loin des sentiers battus et de toute forme de conformisme. En osant l’éclectisme dans la forme, le cinéaste confirme le talent qu’on lui prêtait. Mais, au-delà de ça, il affronte par tous les moyens, ici un mélo fantastique, la monstruosité des maux, avec ses démons, qui gangrènent son pays et ses habitants.
 
vincy

 
 
 
 

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