Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Le crime de l'Orient-Express (Murder on the Orient Express)


/ 2017

13.12.2017
 



JUSTICE LEAGUE





« Mon nom est Hercule Poirot, et je suis probablement le plus grand détective du monde. »

C’est un classique du polar. Sans l’avoir lu, vous en connaissez le titre. Un des chefs d’œuvre d’Agatha Christie, déjà transposé sur grand écran (par Sidney Lumet en 1974), avec, déjà, un sacré casting (Albert Finney, Sean Connery, Ingrid Bergman, Anthony Perkins, Lauren Bacall, Vanessa Redgrave, Michael York, Jean-Pierre Cassel, Richard Widmark…).

On peut toujours se dire que le suspens est tué avant même de voir le film si on connaît le livre ou si on a vu la version de Lumet. Pourtant, ce serait regrettable de manquer le train : Kenneth Branagh s’en sort haut la main.

La duchesse de la mort

Le cinéaste a adapté Shakespeare, Mary Shelley, un comics de Marvel, Charles Perrault, Tom Clancy, Anthony Shaffer et même Mozart. Des films d’époque, des tragédies historiques, des comédies de mœurs, de l’espionnage, du super-héros, du conte de fée, du mélo, du musical (tendance opéra) et du polar. Alors pourquoi pas Agatha Christie. C’est aussi l’occasion pour lui de revenir au film « chorale », à ce groupe d’individus en huis-clos comme dans Beaucoup de bruit pour rien ou Peter’s Friends.

Paradoxalement, l’une des écrivaines les plus lues dans le monde a été globalement oublié au cinéma depuis les années 1980. Il n’y a bien que le cinéma français avec les films de Pascal Thomas et la télévision française avec une série pour France 3 qui se sont évertués à perpétuer le ton sarcastique mêlé à une enquête toujours un peu absurde imaginée par la « Duchesse de la mort ».

En s’attaquant à un monument littéraire, par sa popularité au moins, Branagh devait se l’approprier. S’il est fidèle au récit, il l’a actualisé par des petites touches personnelles. Cela commence par un prologue, délectable, différent de celui du livre : on passe de Alep en Syrie à Jérusalem, avec une enquête qui définit d’emblée le style d’Hercule Poirot : méticuleux, malicieux, perfectionniste, pédagogue. Pour l’enquêteur-star, il y a le bien et le mal, et rien entre les deux. Or, Le crime de l’Orient-Express est justement l’exploration de cette zone grise entre le blanc et le noir. Ce n’est pas le seul additif au roman. Les personnages ont aussi évolué.

Passagers de renom

Comme dans le film de Lumet, il s’offre un générique étoilé : des stars internationales (Penélope Cruz, Willem Dafoe, Judi Dench, Johnny Depp, Michelle Pfeiffer) et des vedettes montantes (Lucy Boynton, Josh Gad, Daisy Ridley, Tom Bateman), des acteurs réputés au théâtre ou sur le petit écran (Olivia Colman, Derek Jacobi, Leslie Odom Jr, Manuel Garcia-Rulfo). Plus cosmopolite, cette équipée embarque avec un plaisir non feint dans ces Wagons-lits luxueux. Si les partitions de chacun sont inégales (certains personnages sont presque figurants, d’autres plus centraux), tous jouent harmonieusement leur morceau avec gourmandise. Pfeiffer et Depp n’hésite pas à aller vers l’extravagance et l’outrance. Quand Dench, Cruz, Ridley et Dafoe sont davantage minimalistes.

Mais la star est bien Kenneth Branagh lui-même. Il est formidable en Hercule Poirot. C’était d’ailleurs le plus gros risque du film : faire oublier Finney (Lumet) et Ustinov (série télévisée). Moins rond, mais plus belge. Avec justesse, il a trouvé toutes les nuances du personnage. De sa moustache (quelle belle trouvaille ces bacchantes si soigneusement entretenues) à son dandysme décalé, de son plaisir à lire Charles Dickens (toujours cet aspect amoureux de la littérature) à sa vanité (Poirot sait ce qu’il vaut), Branagh incarne un Poirot crédible et jouissif. Il n’hésite pas à lui redonner ses lettres de noblesse, notamment en le faisant parler anglais, avec un fort accent francophone (enfin !), français (quasiment sans accent pour le coup), et en allemand, comme tout belge qui se respecte.

Le crime était presque parfait

Le crime de l’Orient-Express version Branagh est ancré dans une réalité qui le rend plus intéressant. On est au milieu des années 1930 : le nazisme, les théories raciales, le communisme russe, la Palestine pré-Israël sont donc évoquées. Ce réalisme se retrouve également dans le peu de maquillage utilisé sur Pfeiffer, Depp ou Cruz, moins glamourisés que les autres acteurs, malgré leur statut hollywoodien plus élevé.

On sent chez le cinéaste-scénariste-acteur l’envie de restituer l’esprit d’Agatha. On voit bien ce qui lui plaît aussi : le récit à un côté théâtral (unité de temps et d’espace), avec une troupe bavarde et interactive.

Mais tout cela ne pourrait faire qu’un excellent téléfilm. L’artiste britannique a eu un désir de cinéma plus grand. Cela se ressent dans les décors spectaculaires, d’Istanbul (même si le train part dans le mauvais sens) aux sommets enneigés européens. L’image sublime des paysages majestueux. Le train lui-même est magnifié. La mise en scène n’est pas avare en beauté. Branagh est d’ailleurs inspiré quand il décide de sortir des wagons pour « mettre en scène » une action (poursuite), un dialogue (courtois) ou un jugement (dans le tunnel). Lorsque Poirot révèle la/le/les coupable(s), la séquence fait une référence assumée à la Cène de Leonardo Da Vinci avec les douze apôtres écoutant la vérité sur le crime.

Cette belle idée résume parfaitement le film et son personnage central : tout est affaire d’équilibre, mais parfois il y a un déséquilibre. Tout n’est pas bien ou mal, parfois il y a les zones d’ombre qui hantent aussi bien l’investigateur que la/le/les criminel.le.s.

Le Caire dans le viseur

On est loin d’un blockbuster hollywoodien (peu d’action, beaucoup de dialogues, pas mal de psychologie) où la morale serait claire et le meurtre sanctionné. C’est évidemment plus subtil. Tout le monde est échec : la justice de Poirot comme le soulagement du/des responsable(s). C’est toute la force du roman et Branagh se plait à la restituer.

Evidemment, on ne peut que vous inviter à prendre ce billet pour l’Orient-Express. Et l’épilogue nous ravit : Hercule Poirot est appelé du côté du Nil. Il est rare qu’on ait envie d’une suite, le désir de retrouver un personnage, l’envie de voir une autre enquête dans un cadre différent. C’est ce qu’on appelle un film stimulant.
 
vincy

 
 
 
 

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