Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Phantom Thread


USA / 2017

14.02.2018
 



HAUTE COUTURE





« Je n’aime pas qu’on se détourne de moi. »

Paul Thomas Anderson a toujours aimé les microcosmes : ces environnements confinés où l’individu agit, interagit et réagit en fonction de l’atmosphère, que ce soit le cinéma porno, l’industrie du pétrole ou une secte religieuse. Phantom Thread nous enferme dans une maison où tout se mélange, le privé et le travail, les fantômes du passé et les inspirations du présent, la création qui fait appel à l’imaginaire et la fabrication ancrée dans le réel.

Comme pour There Will Be Blood et The Master, le réalisateur choisit un contre-champs pour raconter la souffrance d’un démiurge, ici un créateur perfectionniste, à travers les yeux d’un novice, ici une muse candide. Car ce qui l’intéresse par dessus tout, c’est la folie des hommes, ceux qui oscillent entre génie et tyrannie, qu’ils soient réalisateur de film X, coach en développement personnel, explorateur exploiteur, charlatan mystique.

L’obsession croisée de Reynolds, créateur de robes pour la haute-société, dont toute la vie est réglée autour de son travail jusqu’au moindre détail du quotidien, et d’Alma, mannequin malgré elle dont tous les sentiments se portent vers son modiste-modeleur, soutient toute la structure de ce film ambitieux, et vaniteux.

Splendeurs et dissidence

Phantom Thead convoque Hitchcock (Soupçons) , Leigh (Turner), Ford (L’homme tranquille), Lean (La fille de Ryan) et Clouzot (La prisonnière) dans une œuvre splendide esthétiquement- un esthétisme haute couture -, mystérieuse, vaporeuse et captivante sur la fin. Car le film ne déploie réellement son intensité magnétique qu’après une bonne moitié de son histoire.

Le titre est d’ailleurs bien trouvé : cette douleur persistante que laisse l’aiguille trop longtemps manipulée au derme des doigts. Rarement film n’a été aussi hanté par l’invisible (le passé des protagonistes) et par l’impossible (l’amour et l’acharnement artisanal de la conception d’une robe).

La langueur et la longueur dont souffre Phantom Thread, tout comme cette élégance (sublime) trop travaillée empêchent cependant de se laisser envoûter facilement, entraînant parfois un ennui certain devant une histoire mélodramatique très classique. C’est, finalement, l’émancipation de la jeune femme et la mue de la sœur (formidable Lesley Manville dans un rôle androgyne et cassant, apportant l’acidité d’un zeste de citron dans un sirop doux-amer) qui vont faire vaciller ce classicisme vers un « modernisme » plus accrocheur. C’est notamment très bien illustré par la musique de Jonny Greenwood, dont la partition, qui rappelle les films hollywoodiens du genre des années 1950, prend une ampleur et souligne l’ambivalence des situations dans le dernier tiers du récit.

L'homme impossible

C’est toute la gageure du réalisateur et scénariste de chercher à nous fasciner avec un homme égoïste et autodestructeur, séduisant et antipathique. Daniel Day-Lewis se glisse parfaitement dans ce costume taillé sur mesure. Il n’a jamais été aussi beau, aussi précis. Un aimant irrésistible, pourtant peu aimable. Paul Thomas Anderson a su rendre ce célibataire endurci rempli de vieilles habitudes parfaitement humain : gourmand quand il va bien, faible quand il va mal, conduisant à toute vitesse pour s’évader, concentré jusqu’à l’extrême pour créer. Sans doute, le cinéaste se reconnaît dans cet homme, inspiré du couturier Cristobal Balenciaga. La fin justifierait ainsi les moyens.

Et c’est d’ailleurs ce que comprend l’égérie, cette Alma venue dont on ne sait où, orpheline et immigrée sans doute, amoureuse (ce qui en soi n’est pas un crime mais qui ici la rend criminelle). Vicky Krieps incarne avec une belle justesse cette inspiration professionnelle et cette influence personnelle qu’elle provoque sur le « maître ».

C’est elle qui crée les vibrations dont le film se nourrit pour avancer. L’utilisation du flash-back est d’ailleurs habile. Le fait qu’elle raconte l’histoire au passé nous amène à imaginer un drame, une tragédie qui a détruit le destin du personnage principal. On devine alors un crime passionnel, un accident de voiture, … C’est bien plus vénéneux. Plus insidieux aussi. Et surtout leur histoire révèle une interdépendance aussi malsaine que salutaire.

Dépendance affective

Paul Thomas Anderson réussit avec virtuosité à filmer cette ambiguïté entre ces deux caractères radicalement opposés qui ne peuvent pas résister aux lois de l’attraction. A première vue, on ne voit qu’une romance un peu désuète, une étude comportementale, et un exercice de style. Une belle mécanique dont chaque boulon est bien huilé. Mais derrière ce monde artificiel, où Alma semble être le seul élément naturel, Phantom Thread raconte la terreur qui habite le créateur.

« C’est peut-être l’homme le plus exigeant qui soi » nous dit Alma en préambule. Cette phrase pourrait convenir aussi bien au cinéaste qu’au comédien. C’est aussi cette exigence qui ronge le « prisonnier ». Reynolds Woodcock vit enfermé, ou presque, chez lui, condamné par ce besoin de créer la robe parfaite, piégé par ses rituels imposés pour pouvoir les créer. Alma incarne ainsi la clé qui le mène vers la liberté, le lâcher prise. Mais à quel prix…

C’est pourtant dans cette faille que la lumière passe et que le film prend de l’intérêt. Quand le poison de la passion se distille dans le sang, rendant vivant, aux portes de la mort, cet homme adulé et craint. C’est aussi là que le réalisateur accélère le mouvement, met en branle une forme de suspens inquiétant, infusant alors une incertitude qui contamine le spectateur.

Faux semblants

Comme son personnage, il refuse le « chic » et préfère le classique atemporel, quitte à ne pas être aimé, à ne pas être à la mode. Dans cette atmosphère mortifère, conscient de ne pas plaire à tout le monde, Paul Thomas Anderson décline La belle et la Bête, ou le Monstre et La Poison, dans une version délicieusement perverse qui exige d’être patient. C’est toute la grandeur de cette séquence dans la cuisine où lui et elle sont conscients de l’enjeu qui se joue, et où les deux comédiens sont au sommet de leur jeu. La mise en scène souligne la tragédie qui s’annonce, la mélancolie qui imprègne, la froideur qui s’installe.

Longtemps, par sa beauté et sa perversité, le film hante nos esprits. Pourtant, subrepticement, ces fantômes s’évanouissent assez vite. Il ne reste que leur empreinte. Comme ces robes de mariée, magnifiques et éphémères, maudites et mortelles.
 
vincy

 
 
 
 

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