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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Ghostland
/ 2018
14.03.2018
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TOUT EST CHAOS
Une femme et ses deux filles arrivent dans une maison héritée pour s’y installer, mais dès la première nuit des intrus entrent et... et on ne devrait pas en dire plus. Ghostland est l’un de ces films qui est construit pour manipuler le spectateur, où une histoire dévoile une autre histoire. Toutefois, ici, essayer de deviner la fin avant ne remet pas du tout en cause le suspens. D’ailleurs il y a quelques clés dans l’affiche tout comme dans la bande-annonce. Ghostland est un récit à multiples tiroirs qui s’ouvrent ou se referment, et le plaisir est bien d’en découvrir le contenu caché : l’Horreur.
Pascal Laugier est désormais l’un des rares cinéastes à réaliser des films différents autant sur le fond et la forme, à partir d’une même thématique qu’il explore : l’enfance sacrifiée. Qu’il s’agisse de l’orphelinat qui ferme de Saint Ange, du sous-sol qui emprisonne de Martyrs ou de la mine qui fait disparaître de The Secret c’est à chaque fois une tragédie horrible qui se produit en surface où la peur se propage avec différents visages. Le réalisateur connait bien évidemment les classiques du ‘film de genre’ en incluant ici où là telle référence, mais son ambition est de s’inscrire son propre style. Ghostland est appelé à devenir un film qui compte (comme tout ses autres films, et pas seulement l’éprouvant Martyrs). Ce n'est pas juste un film de plus qui fait peur. Et dans ce domaine les réalisateurs français n’étaient pas nombreux il y a quelques années : Alexandre Aja avec Haute tension suivi de sa version de La colline a des yeux, Xavier Gens avec Frontière(s) suivi de The Divide et donc Pascal Laugier qui demeure notre plus brillant master of horror. Ghostland est un rollercoaster d’émotions fortes.
Les quinze premières minutes du film représentent presque un film à part entière s'il s’agissait d’un court-métrage: elles présentent d’emblée tous les ingrédients qui font peur. Bien entendu le récit ira bien au-delà et partira dans plusieurs directions. Il s’agit en fait d’un temps nécessaire pour rendre le spectateur complice, et l’attacher à cette histoire si particulière. Dès le début les clichés habituels des films d’horreur, sous influence américaine, sont tous réunis: une maison mystérieuse et isolée, un camion inquiétant dans les parages, etc... Pascal Laugier reproduit presque les trucs éprouvés de films d’horreur qui font sursauter à base de ‘jump-scare’ pour conditionner le public en terrain-connu, avant de l’emmener ailleurs. Ce n’est pas un hasard si des personnages vont citer littéralement dans un dialogue les noms de l’écrivain Lovecraft et du cinéaste Rob Zombie. Pascal Laugier a l’envie de respecter les codes du ‘film de genre’ et de jouer avec, et il a surtout l’ambition d’apposer sa patte (narrative, visuelle) pour proposer quelque chose de plus singulier. Ghostland sera une expérience sensorielle à (sur)vivre.
On veut seulement jouer à la poupée…
L’enfance sacrifiée hante donc la filmographie de Pascal Laugier: comment raconter et filmer la souffrance, la douleur issue de cette souffrance, les conséquences de sévices comme le viol ou la torture, l’abandon, le désespoir ? Ses trois premiers films Saint Ange, Martyrs et The Secret ont en commun dans leur récit quelques ‘twists’ perturbant pour une progression vers un troisième acte dont la conclusion est une sorte de délivrance. Ghostland repose sur une structure cousine mais très différente avec deux temporalités différentes dont l’une est peut-être moins réelle que l’autre. Il y aurait des psychopathes sadiques dans une sorte de maison hantée, mais il y a surtout les deux jeunes sœurs qui vont subir l’indicible. Le Mal est représenté physiquement de façon monstrueuse et il ne parle quasiment pas, il est impossible d’imaginer supporter ce qui arrive alors… et il est impossible d’en dire plus.
Le film est généreux en excès en tout genre : méchants horribles, poupées flippantes, perversions vicieuses, cris stridents. On verra en particulier sur les visages des personnages les différentes cicatrices et blessures de ce qu’elles ont subies mais relativement peu d’images de ces actes - ce qui est presque inattendu vu comment Laugier sait filmer l’insoutenable. En fait avec Martyrs le spectateur était en quelque sorte du côté du bourreau, mais avec Ghostland il est clairement aux côtés de la victime. Ghostland a reçu le Grand Prix du Festival fantastique de Gerardmer et il est interdit aux moins de 16 ans : les fans de la chanteuse Mylène Farmer (qui est ici actrice pour la deuxième fois de sa carrière) sont donc prévenus qu’il vaut mieux avoir les nerfs solides.
Prestidigitateur, Pascal Laugier vous propose une nouvelle expérience de cinéma d’horreur aussi terrifiante que ludique pour le public. Il vous prend par la main, pointe du doigt une situation, fait un tour de passe-passe pour embrouiller votre attention, vous attache les mains dans une autre position, et c’est à vous défaire les nœuds. Délivrez-vous du Mal...
Kristofy
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