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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Les Bums de plage (Beach Rats)
USA / 2016
31.05.2018
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SUMMERTIME SADNESS
- C'est encore secret ?
- Je me considère pas comme gay.
- Mais tu couches avec des hommes ?
Disponible depuis le 31 mai sur Netflix, Beach Rats aurait pu passer inaperçu. Mais la mise en scène de sa réalisatrice, Eliza Hittman, et le jeu de son acteur principal, Harris Dickinson, en font l'un des films queer les plus importants de ces dernières années. Explications.
Immersion totale
Frankie est un adolescent paumé qui est en train de vivre un été franchement déplaisant. Son père est terriblement malade, sa mère surveille ses allées et venues et sa petite sœur semble en pleine crise d'ado. Pour s'occuper, Frankie passe ses journées à la plage ou à la fête foraine avec ses amis, des mecs peu recommandables. Le soir venu, il flirte avec des hommes plus âgés sur Internet.
Dès les premières minutes, Eliza Hittman plante le décor. Frankie se prend en photo devant une glace, bande les muscles, pose et tente de susciter le désir. Et c'est bien de cela que Beach Rats traite, de ce désir inavouable selon Frankie pour les hommes. Particulièrement mignon et charismatique, le jeune homme peine véritablement à assumer qui il est. Ou du moins, il semble incapable de dire avec précision ce qu'il est. Et c'est avec interminable questionnement que commence et se termine Beach Rats.
Qu'on se le dise, quatre ans après It Felt Like Love, Eliza Hittman n'est pas davantage intéressée par le fait de donner des réponses au spectateur. Ici encore, elle veut susciter la réflexion auprès d'un public qui découvre le quotidien des jeunes de Brooklyn. Mais au-delà du simple tableau, Eliza Hittman fait plus : elle nous embarque dans leurs péripéties et propose une immersion de laquelle on ressort troublé. Car Frankie n'est pas un adolescent comme les autres, il se défonce régulièrement à l'oxycodone et semble avoir de plus en plus de mal à se mentir à lui-même. Ca tombe bien, nous sentons également que ses mensonges commencent à peser.
Masculinité toxique
Sur le papier, Beach Rats est un film qui raconte le questionnement intérieur d'un jeune homme qui tente de vivre avec son homosexualité. A l'écran, nous assistons à toute autre chose. Sans jamais dire explicitement quelle est l'orientation sexuelle de Frankie, Beach Rats s'attarde avec plus d'intérêt et d'attention sur ce qui l'empêche finalement de savoir ce qu'il est. Et c'est bien au niveau de son environnement, de son entourage que se trouve la question. Conscient que l'hétérosexualité constitue encore la norme pour de nombreuses personnes, Frankie tâtonne ment, se ment et a du mal à gérer toutes ses identités.
Avec ses amis, ses poses et ses attitudes de jeune délinquant font écran. Mais en privé, lorsqu'il se retrouve avec sa copine du moment Simone ou avec les hommes qu'il drague, sa virilité n'est plus aussi efficiente. Auprès de la première, doit redoubler d'effort pour parvenir à donner le change quand il semble plus à l'aise avec des hommes qui ne le jugent pas.
En posant sa caméra sur Harris Dickinson (Frankie), Eliza Hittman touche au but. L'acteur de 22 ans dispose d'une plastique avantageuse sans que celle-ci ne court-circuite sa performance. Absolument remarquable, cette dernière s'est soldée par des nominations aux Gotham Awards, aux Spirit Awards et aux London Film Critics Circle Awards. En montrant ici une bonne partie de son talent et l'intégralité de son corps, le Britannique parviendrait presque à crever l'écran. Mais à défaut de sortir du cadre, il déclenche surtout une réaction empathique de la part du public qui, persuadé que Frankie vaut mieux que cette vie, a rapidement envie de le sortir de son ennui en lui faisant découvrir la vie, le monde et surtout le safe sex.
Visiblement peu conscient des risques qu'il prend en passant outre le port du préservatif, Frankie s'éclate dans des motels ou sur la plage. Mais ce n'est que lorsque l'un de ses rencards lui retient avec insistance la tête alors qu'il pratique une fellation que Frankie réalise les dangers qu'il brave avec ce type de pratiques. Miroir d'une génération qui connaît l'aspect et la taille du sexe de l'autre avant de connaître son film préféré, Beach Rats peut dérouter par sa franchise. Mais à aucun moment les séquences de webcam ne sont ridicules ; elles s'efforcent d'expliquer le rapport au corps et aux hommes de Frankie sans être didactiques pour autant. Une franche réussite.
Daddy issues
Cloué au lit à cause d'un cancer en phase terminale, le père de Frankie n'existe que dans la diégèse du film et très peu dans sa représentation visuelle. Dire que Frankie s'intéresse aux hommes plus âgés afin de compenser cette figure masculine est une option. Mais il semble y avoir dans Beach Rats une autre possibilité : Frankie aime les hommes plus âgés parce qu'ils sont plus matures et davantage à même de respecter ses choix de vie et ce qu'il est. Les multiples séquences nous présentant Frankie et ses amis le prouvent : ces derniers sont loin d'être woke, tolérants ou même présentables.
Avec son style proche du documentaire, sa caméra portée et son atypique grain de l'image, le film d'Eliza Hittman a pour plus gros défaut d'avoir tenté d'exister entre Moonlight et Call Me By Your Name, les deux grands et incontournables films queer de 2017 et 2018. Il se rapproche du premier par la thématique du père absent et par le questionnement de son protagoniste sur son orientation sexuelle. Au second, il "emprunte" cette esthétique du corps nu, sensible et solide à la fois ainsi que ce désir visible dès lors qu'un gros plan est fait sur les bras ou les lèvres de l'un des acteurs. Pendant white trash de Moonlight, Beach Rats réussit, à l'instar de Call Me By Your Name, à ne pas définir de but en blanc son héros mais à surtout le faire exister.
Interdit aux moins de 17 ans non accompagnés d'un adulte lors de sa sortie américaine, Beach Rats présente avec une frontalité parfois déroutante le cheminement d'un jeune qui doit assumer qui il est à défaut d'aimer ce qu'il est. Solaire et parfois cru, Beach Rats dispose de dialogues attendrissants ("Tu pues un peu mais ça m'excite") et d'un premier rôle très prometteur. Depuis Beach Rats, on a d'ailleurs pu voir Harris Dickinson dans la série Trust. En août, il sera l'une des stars du film de SF Darkest Minds et en 2019, on le retrouvera à l'affiche de Maléfique 2. Vous l'aurez compris : Harris Dickinson est officiellement un acteur à suivre !
wyzman
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