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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Dark River
/ 2017
11.07.2018
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PETITS PAYSANS
« Comment ça peut marcher ? Tu as peur dès que veux passer la porte ! »
Après le beau Géant égoïste, la réalisatrice Clio Barnard poursuit son exploration des prolos débrouillards, plus ou moins exclus de la société, dans Dark River. Ce réalisme social à l’anglaise est presque banal, et pourtant, la cinéaste sait imposer un style qui lui est propre, notamment grâce à l’écriture de ses personnages, profondément touchants, et parfois troublants.
Au décès de leur père, un frère et une sœur se retrouvent après quinze ans de séparation. La ferme familiale est en piteux état. L’un souhaite que la nature fasse son travail, quand l’autre aimerait lui rendre vie.
Cette « maison hantée » par des mauvais souvenirs (le père n’avait rien d’un ange, et sa fille en reste traumatisée) sera une maison maudite. La relation conflictuelle entre les deux jeunes adultes, empoisonnée par leur géniteur qui apparaît tel un fantôme ou obsède l’esprit, va s’avérer presque passionnelle. La tension monte progressivement jusqu’à l’accident « libérateur » mais « tragique » (où « tuer le père » prend toute sa signification).
La beauté du récit tient aux deux personnages : une femme libérée, obstinée, bêcheuse, ambitieuse, indépendante, mais fragilisée par ses traumas, et un homme dépité, dépassé, déchu, déprimé, désespéré, impulsif, solitaire, mais envahit par des surplus d’émotions.
L’une ne peut pas regarder le passé en face, l’autre refuse de voir l’avenir qui s’annonce.
Si l’histoire est assez classique et pas vraiment originale, la mise en scène enrichit par petites touches leurs tempéraments et leurs angoisses. Les poids lourds qu’ils portent sur leurs épaules, dans un contexte de déclin agricole, auraient pu alourdir le film. Clio Bernard dose en fait habilement routine professionnelle et affrontements personnels. Par ailleurs, avec un beau travail sur la lumière (et ces temps variables dont un rayon de soleil peut illuminer une mèche de cheveux, un brouillard rendre tout opaque, ou, au contraire, un orage menaçant assombrir le paysage), Dark River se détache cinématographiquement des films trop réalistes.
S’il n’y a pas l’intensité du Géant égoïste dans ce film, l’épilogue élève un peu l’ensemble pour nous marquer plus durablement qu’on ne s’y attendait. En orientant son film sur la fraternité qui les unit, la réalisatrice permet le rachat des fautes, la rédemption des deux coupables, et la reconstruction de leur lien invisible. C’est ce qui est le plus émouvant : les voir gérer un drame sanglant en silence et en complète harmonie. Loin de la lâcheté du père, de leur soumission qui les emprisonnait.
Dans cette histoire, la fille est bien la victime. Et le fils va expier les péchés du père après des années de loyauté inconvenante. Il n’est pas innocent qu’à notre époque le fils paye pour un patriarcat devenu obsolète.
vincy
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