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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Silent Voice (Koe No Katachi)
Japon / 2016
22.08.2018
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LUI ET ELLE
« Pourquoi voulais-tu te suicider ? »
En adaptant il y a deux ans le manga éponyme (et primé) de Yoshitoki Oima, la cinéaste Naoko Yamada, l’une des rares réalisatrices de long métrage d’animation, s’est lancée un considérable défi : réaliser un film grand public sur le handicap et le harcèlement.
En réduisant 7 volumes de mangas en 2h12, le film pouvait également passer à côté de la profondeur de l’histoire d’origine. Silent Voice démontre que l’animation japonaise est à un tournant en abordant des thèmes plus métaphysiques ou psychologiques, dans un genre plus réaliste, délaissant science-fiction, fantasy et onirisme. Your Name en est la parfaite illustration, flirtant avec le surnaturel.
Silent Voice emballe parce qu’il surmonte aisément ses obstacles et, surtout, parce qu’il fait preuve de quelques audaces (notamment formelles). La plus marquante, qui est dans le matériau d’origine, ce sont ces X qui sont collés aux visages des gens qui entourent Ishida, traduisant ainsi sa grande solitude au milieu des foules. Il ne les voit pas comme ils ne le voient pas.
Mais il ne faudrait pas s’arrêter à la délicatesse des dessins, à la minutie des mouvements, aux cadres décentrés, à des coupes brutes ou des plans fixes sur des parties de corps, ou même à ses hors-champs hypnotiques. Si la mise en scène cherche des moyens subjectifs de raconter à la fois le monde du silence d’une jeune sourde et l’exclusion de celui qui lui a gâché son intégration à l’école, deux mondes vides où la communication semble impossible, l’histoire va bien plus loin que cette magnifique perception sensorielle et ces dissonances perpétuelles.
Seconde chance
Silent Voice évoque évidemment un handicap – la surdité – et ses conséquences – la difficile acceptation de sa différence – mais il aborde aussi le harcèlement scolaire. De ce premier chapitre, à l’époque de l’école primaire, on retient d’ailleurs davantage la cruauté des enfants. Sous ses allures de « teen college movie », le film fait très ressentir la souffrance de la victime et la bêtise des harceleurs.
Pourtant, et c’est toute la magie du mélodrame, une relation invisible se tisse entre ces deux protagonistes. Niqhimiya est gentille, douce, généreuse, ni revancharde ni rancunière. Ishida, avec les années, comprend le mal qu’il a fait, comment il a glissé dans la dépression, à quel point il a été inutilement ignoble. Si bien que le film, en se déroulant essentiellement lorsqu’ils sont plus matures, s’achemine vers une histoire sentimentale, entre repentir et rédemption. Quelques événements dramatiques et un entourage bienveillant ou méfiant, selon, conduiront le récit dans une direction moins attendue que prévue.
En refusant de faire du handicap le sujet majeur du film, Naoko Yamada se concentre d’une part sur cette amitié improbable, dont chaque étape rend intelligible les réactions de ses différents personnages, mais aussi sur la violence d’un monde officiellement ouvert et sociable mais, finalement, assez peu tolérant et pas si humain. Le fait que le harceleur, cerné par les femmes si on regarde bien (les pères sont absents), devienne un paria malgré le pardon de sa victime le transforme lui-même en victime. C’est leur isolement qui les réunit. Et c’est ce qui produit toute la beauté de leurs états d’âmes.
Réparer ses fautes n’est jamais évident. Surtout quand on ne parle pas la même langue. Mais apprendre à s’aimer est autrement plus difficile. Et c’est bien cette dimension du film qui le rend si particulier. Entre deux suicides, ce film introspectif est tragique du début à la fin, et pourtant belle et joyeuse.
Il suffira d'un signe
Ainsi, vers le final, la musique change de rythme et de tonalité. Le romantisme absolu peut se déployer. Il faut dire qu’il n’y a plus besoin de mots : les images, les mouvements, la tension suffisent à nous diriger vers un épilogue à la « Elle et Lui », en deux temps : les retrouvailles impossibles et le dénouement enfin espéré.
Si le dernier chapitre est un peu long, on ne regrette pas d’avoir partagé ce récit de réconciliation. Si le jeune Ishida a du mal à regarder les gens dans les yeux, le spectateur lui reste avec quelques feux d’artifice se reflétant dans leur iris.
vincy
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