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MOON LIGHT
« Vous êtes des gamins bricolant des maquettes : vous ne contrôlez rien ! »
Si on doit trouver un fil conducteur dans la jeune œuvre de Damien Chazelle, c’est sans doute la valeur de l’échec. Qu’on soit batteur, actrice, pianiste, épouse au foyer ou astronaute, à chaque fois, les protagonistes de ses films doivent endurer une série de fiascos, apprendre à sacrifier sa vie au profit de son objectif. A chaque fois il s’agit de décrocher la lune, au risque d’y laisser sa santé, sa raison, sa vie.
First Man est bien dans cette lignée. Cette fois-ci les étoiles ne sont pas celles de la célébrité, mais bien celles de l’espace. Le cinéaste veut raconter près d’une décennie de conquête spatiale, de guerre froide des étoiles, en restant souvent cloué au sol. Là encore, le réalisateur cherche à équilibrer deux films : le taff du héros et sa vie « normale ». La mise en scène accentue cette bipolarité du film. La partie « pro » se veut immersive, avec une caméra nerveuse, stressante même, clinique et technique, et pourtant sensorielle, et surtout subjective avec le point de vue des pilotes. La partie « perso » avec des plans plus amples, plus posés, plus classiques, où les comédiens.
Le scénario et la mise en scène font le reste : cette alchimie entre terre et ciel, entre vie intime et vie publique, entre névroses et peurs, entre individus incarnés et tous ces reflets et éclairages qui faussent le réel. En choisissant comme personnage principal Neil Armstrong, et donc en ayant conscience de faire un film en partie biographique, Damien Chazelle a trouvé un « caractère » qui lui convenait (et qui allait comme un gant à Ryan Gosling) : déterminé, combattif, taciturne, introverti même, passionné au point de se noyer dans son rêve.
Danger immédiat
La gloire a son prix, soit une bonne dose de souffrance et parfois quelques injections de tragédie. Mais surtout, le cinéaste continue à envoyer un message : pour réussir, il faut de l’apprentissage, du travail, des compromis, de la douleur, du mensonge (y compris à soi-même), d’abnégation, de manigances aussi. En s’aidant des missions et des coulisses, Chazelle « fabrique » le héros. A l’inverse de l’Etoffe des Héros ou de Space Cowboys, il déporte son regard sur le « staff » des héros et sur le mythe qu’ils représentent. Ils ne semblent que des pantins d’un grand projet sur lesquels pèse un poids invisible.
C’est là où le personnage de Claire Foy, en épouse d’Armstrong, prend toute la lumière (en dehors du fait qu’elle joue bien mieux que Gosling, pourtant à un bon niveau). C’est elle qui apporte la part solaire et dramatique du film, quand la partie de Gosling est proprement lunaire (la tête dans les étoiles) et plus obscure. Elle réveille, éclaire, pique. En clair, Foy ramène sur terre son époux et la Nasa mais traduit aussi les peurs et les doutes face à cette folie humaine.
Comme Emma Stone dans La La Land, Foy s’impose discrètement et donne au film un relief plus contrasté.
Du réalisme et de la normalité
Car First Man, à trop hésiter entre drame personnel, film biographique et aventure, cherche son chemin. Pourtant, il décolle. Avec un bon découpage, et un scénario assez épurée, le film nous entraîne dans sa vision « à contre-courant » : l’anti-héros, l’anti-triomphe, l’anti-patriotisme, etc… Car c’est un homme banal que cet Armstrong, avec une famille pas si facile, dans une Amérique qui se fait humilier par la Russie. L’absence de grands discours ou de belles images patriotiques rendent service au propos de Chazelle, qui privilégie l’humain à l’idéologie, la soif de savoir à la propagande, l’élargissement des horizons (aller sur la lune) au repli sur soi (se complaire dans le deuil)…
Et surtout, le cinéaste prouve tout son savoir-faire lors des sorties de l’atmosphère. L’arrimage à Gemini est une véritable valse stratosphérique et l’alunissage est un superbe opéra hypnotique (qui aurait pu durer plus longtemps). Il y a de sublimes plans une fois là haut.
Progressivement, le film prend son élan, trouve sa dynamique, et conserve ce souffle jusqu’au bout. First Man n’est ni Solaris ni Gravity, ni métaphysique ni virtuose. C’est un drame banal avec un cadre extraordinaire. Chez Chazelle, il y a toujours cette question de bac philo : la fin justifie-t-elle les moyens ? Mais cette fois-ci il y a une affirmation plus troublante : qu’est-ce que réussir sa vie ? Etre une légende vivante dans le monde entier ou ne pas pouvoir embrasser sa femme, de l’autre côté de la vitre ? vincy
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