Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Bohemian Rhapsody


Royaume Uni / 2018

31.10.2018
 



THESE ARE THE DAYS OF HIS LIFE





« - J’y ai réfléchi un certain temps. Je pense que je suis bisexuel.
- Freddie, tu es gay.
»

Objet autant attendu que craint, un film biographique souffre toujours de ses passages obligés. On ne doute jamais de l’efficacité de l’interprétation puisque les anglo-saxons sont passés mettre en imitation. Et avouons-le Rami Malek, aidé par une prothèse dentaire, est un parfait Farrokh Bulsara (aka Freddie Mercury, aka le chanteur de Queen). Ironiquement, on entend quand même cette sentence : « On n’arrive à rien dans la peau d’un autre ». Un comédien doit le prendre comment ?

Le biopic porte bien son titre : une rhapsodie, soit une « pièce musicale » libre dans sa composition et populaire dans son inspiration, sur un bohémien, soit un artiste nomade et sans règles. On croit connaître le bohémien ? Vous apprendrez des choses. On pense savoir comment ça se termine ? C’est pourtant pour les vingt dernières minutes que Bohemian Rhapsody vaut son ticket.

Une fois les fondamentaux installés, on suit la vie de la rock-star, de sa vie étriquée de bagagiste à son existence grandiloquente de chanteur de stade, de manière chronologique (même si le scénario prend quelques aises avec l’ordre des événements). Pour tenter un angle dramatique, l’histoire enfonce l’artiste dans une solitude presque pathétique (Somebody to love), dont le happy end sera les retrouvailles avec sa famille, son groupe, son amie, son compagnon (seuls ses chats ne l’avaient pas quitté). La construction du film se fait ainsi très simple : ascension, désillusions, rédemption. Mais il manque un rythme, une dynamique, un son qui lui est propre.

Pudique

Cela freine évidemment la liberté qu’aurait pu avoir Bohemian Rhapsody, car, en plus on est assez surpris de n’éprouver aucune émotion. Tout est lisse, trop écrit, trop fabriqué. Le puritanisme du film obstrue complètement la face sombre du personnage. Les quelques allégories (assez grossières) pour flirter avec sa vie sexuelle, les vagues trainées de poudre blanche, montrent surtout l’embarras de la production à vouloir faire une film grand public avec un personnage beaucoup plus complexe et sans doute un peu trop dark que celui qui nous est donné à voir.

Même si le scénario simplifie grandement l’histoire de cette célébrité extravagante, il n’oublie pas de faire découvrir quelques aspects méconnus de sa vie, notamment cette amitié avec Mary (Lucy Boynton vole littéralement certaines scènes). Sa vie gay se résume à une vipère égoïste qui va l’entraîner dans les bas fonds et un majordome gentleman. Pourtant, ce n’est pas ça qui va nous intéresser. Ce n’est pas même pas ça que nous allons retenir. Le bohémien n’est qu’un élément de cette rhapsodie. On devine bien sa facette fantasque, on a déjà vu ailleurs les trahisons causées par le succès.

Intime

Trop classique pour se détacher des autres biopics du genre, il faut quelques séquences pour comprendre son potentiel, qui ne s’exprimera que tardivement. D’un point de vue musical, la création de certaines chansons (évidemment Bohemian Rhapsody qui bénéficie d’une longue scène, mais aussi We Will Rock You) dévoile l’aspect collectif des créations du groupe. De loin, ce sont les séquences les mieux montées. Ce sont, aussi, souvent, les moments les plus joyeux aussi. Toutes aussi jouissives, les trois réunions chez les patrons (deux chez EMI, une chez « Miami »), où là aussi on ressent bien l’osmose du groupe, dans le délire comme dans la colère. Ce sont aussi les scènes où les dialogues sont les mieux écrits.

Mais cela ne fait qu’un beau conte, qui devient tragique quand le SIDA s’invite. Et là, le film mue lentement. On croit plonger dans les années les plus noires, jusqu’à la mort sous pression du chanteur. Le scénariste et le réalisateur ont opté pour un épilogue lumineux. Ils évitent la tragédie pour préférer la vitalité, la « good vibe ».

Les 20 dernières minutes sont un tour de force en soi. D’abord parce que nous ne sommes pas prévenus – et c’est pour cela qu’il va falloir bientôt arrêter la lecture de ce texte si vous n’avez pas vu le film. Ensuite parce que le cinéaste opère un changement radical dans sa narration et dans sa mise en scène. Ce qui aboutit à une impression finale complètement différente. Dès lors que Mercury apprend sa maladie, et donc sa fin inéluctable, la mise en scène se fait plus inventive, moins formatée. Ce qui nous emmène vers une émotion qu’on a longtemps attendu, vers une vérité qu’on a longtemps cherché tout au long du film : ce qui reste de Freddie Mercury, l’essentiel, loin du glam-gay.

Grâce à ce final flamboyant, le film décolle et oublie sa vocation biographique pour devenir un hommage brillant à un artiste hors-norme.


[Spoiler : ce qui suit explique en quoi le final du film. On vous déconseille fortement la lecture de ce paragraphe pour conserver l’effet de surprise lors de la première vision.

Bryan Singer nous immerge dans l’une des dernières performances scéniques du groupe, celle du Live Aid en 1985 à Wembley. Dans la réalité ils chantent six morceaux ce soir là. Dans le film, il y en a trois en version intégrale et les trois autres en extraits. Dès qu’il rentre sur scène, Freddie Mercury nous scotche et Rami Malek prouve tout le génie de reproduire cette prestation. Le réalisateur ne reconstitue pas seulement ce concert : il le restitue, tel un documentaire, en réalité augmentée. On est sur la scène avec Queen, on voit l’alchimie avec le public, on comprend la désinhibition, l’animalité et le génie théâtral du chanteur, on tape du pied au rythme de Radio Gaga et Hammer to Fall, on verse notre larme sur la communion de We Are the Champions.
C’est comme si on était avec eux, il y a plus de 33 ans. Chaque acteur incarnant les membres de Queen semble être habité par leur personnage. La séquence est un tour de force parce que c’est gonflé de faire vingt minutes de musique non-stop, sans coupures, et de terminer le film sur la fin du concert. Parce que c’est un virage narratif, et parce que nous sommes dans une fausse réalité qui vise l’authenticité, avec une belle réussite, sans manipuler le spectateur. On chante les paroles, on tape du pied. On pleure l’artiste disparu. C’est ce qui est beau : cette émotion brute. Rien à voir avec une vie romancée, des choix subjectifs de cette existence, une vision forcément déformée d’une personnalité.
Là nous sommes dans ce qui touche au mystère de Freddie Mercury : son extraordinaire don pour la scène et son envie d’être aimé. Tout est dans ces vingt minutes. Dans cette séquence libre, dingue, qui justifie le titre : c’est bien une rhapsodie où l’on passe du film calibré pour « tous » à une œuvre où l’on injecte quelques moments de folie et qui s’achève dans un opéra rock « brut ». Un poème qui ressemble à la musique de Queen : une série d’hymnes populaires et indémodables.]
 
vincy

 
 
 
 

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