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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Crazy Rich Asians
USA / 2018
07.11.2018
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LA FIANCÉE QUI JETAIT UN FROID
« Les riches adorent ce qui est gratuit.»
Les afro-américains ont triomphé avec Black Panther, qui débute avec un trauma personnel pour le héros dans un Occident en décomposition. Les sino-américains ont trouvé en Crazy Rich Asians leur succès populaire, qui s’amorce avec l’humiliation d’une femme par un Occident en déconfiture.
Voilà pour le lien entre deux films dont l’argument marketing était notamment basé sur une donnée : le casting « ethnique » multinational, l’un 100% noir, l’autre 100% asiatique. On en restera là pour les comparaisons. Car les deux films n’ont pas grand-chose en commun hormis une vision politique pas inintéressante. Black Panther montre une culture africaine rayonnante, positive et moderne, qui se propage jusqu’aux Etats-Unis, pays qui a abandonné ses esclaves même affranchis au racisme, à la drogue et à la pauvreté. Crazy Rich Asians expose une communauté conquérante, prospère et occidentalisée, au point de marginaliser l’Amérique, empire en déclin où les valeurs individuelles et la précarité sont pointées du doigt.
Il y a une forme d’assimilation de ces deux cultures par Hollywood, qui utilise ses genres de prédilection – le blockbuster d’action et la comédie romantique - pour continuer son travail de « soft power », soit l’usage du cinéma pour propager sa « morale » et sa vision du monde à l’étranger.
Et ça marche.
Crazy Rich Asians amorce son propos avec la fameuse citation de Napoléon (« Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera »). En 2018, la Chine s’est éveillée. Et la diaspora chinoise rachète les bijoux européens, américains et australiens. C’est d’ailleurs ce qu’il y a de plus surprenant dans le propos de cette romance : la Chine a colonisé l’Asie et le reste du monde, fait ses affaires un peu partout, et finalement achète des sacs de luxe et autres accessoires bling-bling français ou italiens, écoute de la soupe FM en anglais ou en espagnol (quand elles ne sont pas traduites en chinois), roule en belles caisses allemandes… Ils consomment ce que l’Occident créé, mais ne semble rien créer eux-mêmes autre chose que de l’argent. Etrange constat.
Mondialisation
D’autant que, si le film se déroule dans la richissime Singapour, on peut transposer cette histoire à Bangkok, Mumbay, Shanghai, Taipeh ou Kuala Lampur. La critique serait la même : un puissant conservatisme politique, dans un régime plus ou moins autoritaire (plus que moins à Singapour, même si cela ne se voit jamais dans le film), basé sur une filiation et un népotisme qui créé des fractures sociales béantes et un racisme qui n’ose pas dire son nom (on reste entre soi).
Mais Crazy Rich Asians est un conte de fée, un Pretty Woman sauce sucrée-salée. On n’aborde pas les sujets qui fâchent. Ici, le canard noir (pas laqué) est une sino-américaine, une de ces chinoises élevée au Starbucks et à l’individualisme, plutôt qu’au thé et à la solidarité familiale (aka l’intérêt général). Le pauvre prince charmant est ainsi pris entre deux eaux, celle de sa culture d’origine et de son avenir radieux, et celle de sa culture d’adoption et de son futur amoureux.
Comme toujours ce sont souvent les seconds-rôles qui donnent du relief à un récit dont on sait d’avance comment il va s’achever. A commencer par la marâtre intrusive, Michelle Yeoh, l’amie « gay » de la famille, Nico Santos, et la meilleure amie de l’héroïne, Awakwafina, parfaites en trouble-fêtes. Constance Wu et Henry Golding, les deux tourtereaux, sont plastiquement idoines pour leurs personnages, qui auraient pu être joués par n’importe qui ayant un joli sourire ou des abdos d’acier.
Extravagances
Car, oui, Crazy Rich Asians déjoue les stéréotypes du cinéma hollywoodien. Le mâle n’est plus un nerd ou un spécialiste d’arts martiaux, même s’il a toujours le QI et le cul idéal de l’un et de l’autre. Les femmes font tourner la maison et sont toutes dominantes, en plus d’être vaguement bitches.
On se croit bien dans un Harlequin, un de ces Cinquante nuances de Grey, où tout le monde est bien habillé et où l’amour se résume à une histoire de cadeaux ostensibles, de pouvoir (et de vacheries). Dans des décors somptueux et extravagants, façon Gatsby, ce petit monde défile en belles tenues de haute-couture et avec un mépris certain pour ceux qui ne sont pas de leur clan. C’est Roméo et Juliette ou Cendrillon, selon les séquences.
La publicité pour Singapour est frappante : à croire que le film a été financé par l’office du tourisme. Amour, gloire et beauté : voilà ce qu’est le film, qui, avec un sérieux dixième degré ou quelques substances illicites, peut fait rire aux éclats tant rien n’est épargné. Si le scénario détourne habilement quelques clichés, il fonce tête baissée dans des caricatures parfois drôlissimes, parfois gênantes. Tout y passe, de la rolex surexposée aux shoppeuses ridiculisées, de l’importance des traditions à la vulgarité et l’inculture assumée.
Uniformisation
C’est paradoxalement une rom-com très Wasp, où le seul Dieu est le Dollar, où le seul bonheur reste le pouvoir. Du mariage arrangé au mah-jong moralisateur, le film utilise tous les aspects asiatiques pour le transformer en «produit artificiel » hollywoodien. En pleine ère Trump, ce film ne peut que rassurer un public qui croit aux valeurs conservatrices et à une économie libérale.
Ce soap-opéra clinquant, aux dialogues parfois redondants et aux clins d’œil parfois grossiers, est à l’image de ce gros caillou émeraude qui passe d’une femme à l’autre en guise de (ré)conciliation. Clairement toc, mais assez irrésistible pour peu qu’on soit in mood for love.
vincy
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