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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Une intime conviction
France / 2019
06.02.2019
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L’OMBRE D’UN DOUTE
« Ils s’en foutent de la vérité »
Ceci est une fiction. C’est important de le préciser car une grande partie des faits de ce film de procès (un genre très prisé aux Etats-Unis, assez rare en France) est véridique, inspiré de l’Affaire Suzanne Viguier et du deuxième procès en appel autour du principal coupable, le mari de la femme disparue.
Ainsi Olivier Gourmet incarne l’avocat Dupont-Moretti, figure emblématique et médiatique des tribunaux. Mais Marina Foïs, qui interprète une chef dans un resto et l’assiste dans ce procès, est un personnage fictif. Car le propos n’est pas de savoir comment l’époux Viguier (Laurent Lucas, mutique et impassible) va s’en sortir. Une intime conviction veut démontrer ce qui délimite la culpabilité certaine du plus minime doute qui permet à un suspect parfait d’être innocenter aux yeux de la justice.
Le film est formidable à plusieurs niveaux. Pas seulement par sa mise en scène efficace, aidée par une musique en parfaite osmose, mais bien par un scénario, bien dialogué, qui s’attache à décrypter un procès impossible et à explorer les arcanes du système judiciaire, avec ses manigances, ses jeux « politiques » et sa capacité à influencer juges et opinions. La justice est une mécanique qui peut s’avérer étrangement injuste si on ne respecte pas ses règles.
« C’est banal votre histoire »
C’est aussi une œuvre sur la responsabilité. Tout le récit est un faisceau de présomptions et de croyances – autant d’opinions subjectives et de suppositions irrationnelles – qui va tendre vers un discours sur la vérité et la certitude. Une intime conviction c’est une somme d’actes et de pensées irresponsables qui vont se planter dans un tribunal face à tous pour qu’une décision responsable en sorte.
Bien sûr, il y a un faux coupable, un crime presque parfait ou une femme qui disparaît. On ne saura jamais. Ce western juridique, très vif, très découpé, tient finalement sur deux piliers, qui ne sont ni la victime, ni l’accusateur, mais deux défenseurs. Une citoyenne lambda et foutraque animée par une foi inébranlable en l’innocence du prévenu, et l’avocat star qui veut avant tout que la justice soit rendue de manière rigoureuse. Marina Foïs est formidable dans sa passion presque folle de se mêler de ce qui ne la regarde pas, de laisser tout tomber (son fils, son amant, son job) pour une affaire qui le concerne pas. Elle bousille sa vie pour que celle d’un homme ne soit pas foutue. Cet altruisme mérite une médaille, d’autant qu’elle n’en recevra aucune.
Exceptionnel, Olivier Gourmet n’est pas en reste. Il suffit de voir sa plaidoirie finale pour que cet ours expose tout son talent, comme une bête de scène prêt à dévorer quiconque entaillerait ses arguments. Il est là pour cadrer tout le monde, mais une fois dans sa robe, il déploie tout son savoir-faire pour convaincre sans erreur judiciaire à la clef ce qui n’était qu’une intime conviction sans fondement.
Elle part en vrille et ne contrôle plus rien. Lui ronge ses freins pour mieux attaquer au moment crucial.
Enquête et quête
Avec une belle intensité dramatique, reposant sur un genre proprement cinématographique, le film déroule en alternance les témoignages (un peu forcés parfois mais parfois bousculant le spectateur) et les engueulades (tout le monde est à bout de nerfs).
Cet hymne au doute montre que la vérité ne compte pas. Il faut avant tout amener la justice à être la moins partiale possible. Tel un jeu de dupes, où l’on se bat contre l’imagination, contre « ce concours Lépine » des hypothèses. Où l’éloquence est la seule arme. Une intime conviction prouve finalement la Loi a besoin de l’esprit pour imposer sa force à des humains facilement manipulables.
En cela ce n’est pas simplement un film de procès, puisqu’il s’agit aussi d’une enquête. C’est surtout, finalement, une critique d’une société qui refuse de ne pas savoir. Que rejette l’idée qu’il existe des zones d’ombres, d’incertitudes.
vincy
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