Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Vice


USA / 2018

13.02.2019
 



LE ROI DU CIRCUIT





« Comment un homme devient-il ce qu’il est? »

Adam McKay oriente sa filmographie vers un genre nouveau. Plutôt connu pour ses farces et satires (sa longue et fructueuse collaboration avec Will Ferrell), il a opéré un virage plus politique avec The Big Short, décryptage de la crise économique de 2008, pour totalement embrasser le genre avec ce Vice, décodage du pouvoir à l’image d’House of Cards.

Avec Dick Cheney, il n’a pas choisi la figure la plus connue hors USA. Mais justement, l’ex Vice-président est un symbole de ce qu’il cherche à démontrer: la quête du pouvoir absolu, la toute-puissance anti-démocratique de quelques hommes, la corruption idéologique dont ils font une arme sournoise pour conquérir l’opinion (et l’asservir à ses desseins).

Vice c’est évidemment le titre le plus glorieux que Cheney a obtenu dans sa carrière. VP. Le I au milieu est accessoire pour ce milliardaire qui s’est servi de son poste pour s’enrichir insolemment. Mais c’est aussi le vice qui coule dans son sang pour atteindre ses objectifs, sans trop de scrupules.

La mise en scène est séduisante. Suffisamment pour nous happer de bout en bout, du Wyoming en 1963 à la Maison blanche au début des années 2000. C’est la force du cinéma de McKay. Rendre la politique ou la stratégie ou la diplomatie intelligibles et divertissantes. A la manière d’un talk-show comme « Quotidien ».

C’est le principe de la satire, qui fonctionne très bien ici. Corrosif et assez jouissif, il se plait à distiller de l’inventivité dans ses images, pour qu’elles percutent plus. McKay trouve toujours la petite idée décalée pour traduire un fait ou un émotion, et nous faire rire.

C’est aussi sa limite. Car si le film parvient à bien retracer les événements, il ne fait finalement que les survoler. Tout cela manque parfois de profondeur, d’émotion ou tout simplement de complexité.

A trop vouloir compiler et remixer, le cinéaste perd l’intérêt de son film, tout en conservant l’intensité. D’autant, qu’il capte bien les contradictions et nuances de son personnage (Christian Bale qui sort outrageusement le grand jeu), poussé toujours plus haut par son épouse (Amy Adams, parfaite), mais incapable de sacrifier sa famille pour briguer la présidence.

Des failles dans les faits

La théorie de McKay est que Cheney, homme de l’ombre et influenceur depuis Nixon, républicain par hasard (en croisant Rumsfeld, aka Steve Carell, toujours incroyable), a su jouer les hommes tranquilles, les observateurs, pour n’abattre ses cartes qu’au bon moment. Sa pièce maîtresse fut sans doute le 11 septembre, prenant le contrôle des événements (Bush apparaît comme un pantin), et déroulant son plan de contre-attaque, qui allait envoyer l’Amérique en Irak, créé l’Etat Islamique et faire la fortune de sa boîte. Etrangement McKay plante son film sur ces années Bush (Sam Rockwell, fabuleux). Il réduit Condoleezza Rice au rôle de figurante, Colin Powell à un niveau secondaire, élimine le discours de Villepin à l’ONU. Factuellement, le film a trop de défauts pour que cette partie qui dure un bon tiers du film soit solide.

Il accrédite la thèse que le chaos engendre le chaos. Quand un monde s’écroule, les plus forts dominent face à la peur et l’incertitude. Pourtant c’est davantage les années Ford/Reagan/Bush Sr, qui sont intéressantes. C’est là que toute l’idéologie se met en place. A l’instar d’un Michael Moore, Adam McKay est plus passionnant quand il tisse les liens entre d’obscures personnalités qui vont devenir les rouages d’un régime, mêlant propagande (création de Fox News) et dérives constitutionnelles. Un gang de requins né à la fin des années 1960. Tout est là pour que Trump et la droite dure soit au pouvoir. Vice est un pendant intéressant à Blackkklansman à ce titre là.

Cette enquête cynique serait potache si les décisions de ces hommes n’avaient pas eu des conséquences aussi dramatiques. Leur pouvoir donne le vertige. On peut s’apitoyer sur la santé de Cheney, le détester pour la trahison qu’il causera à l’une de ses filles, le respecter pour la réussite professionnelle indéniable. Cela reste, à la fin, une ordure qui piétinait la Convention de Genève et déstabilisait les règles de la démocratie américaine. Il a participé à tout ce qui forge aujourd’hui la politique de Donald Trump en matière écologique, en détruisant l’environnement alors qu’il travaillait dans le pétrole. Il a fait des lobbys un cinquième pouvoir. Il a contribué à surveiller tous les Américains. Il a menti, manipulé des faits, envoyé au casse-pipe des milliers de soldats, fait massacrer des dizaines de milliers d’innocents.

C’est cynique parce que celui qui raconte l’histoire, qui sert de témoin, le déteste, en tant qu’ancien soldat, et va lui sauver la vie, involontairement. Le sale hasard du destin. Mais c’est justement peut-être un peu outrancier, comme cette jolie image, mais un peu trop appuyée, où un Président agite le pied par nervosité en déclarant la guerre, suivie d’un pauvre irakien agitant lui aussi le pied alors que les bombes pleuvent autour de lui.

Vraie fausse fin pour film de faux-semblants

Vice ne nous apprend rien sur l’impunité de ces élites prêtes à tout pour rester décisionnaires de la marche du monde. Cheney en est juste un énorme symbole. McKay préfère en faire une comédie amère, s’achevant sur « America » de West Side Story.

Mais c’est aussi une histoire d’amour entre deux ambitieux médiocres, qui, quand Clinton va gagner, vont se mettre en retrait, à la retraite. C’est là l’idée la plus brillante du film : créer une fausse fin de romance sirupeuse (avec son générique). Comme si le réalisateur avait eu conscience d’avoir fait deux films en un, déséquilibrant mécaniquement son sujet. C’est, paradoxalement, la partie la plus intime, la moins connue, qui s’avère la plus forte, car elle se laisse encore un peu d’imaginaire et de liberté pour avoir la distance nécessaire.

Dans sa seconde partie, Vice signe un portrait à charge, qui ne laisse personne indemne. Mais il n’a plus la vertu indispensable pour juger objectivement ce monstre. Le comble est qu’on ne parvient même pas à le haïr tant la mise en scène est trop ludique pour exhiber ses erreurs et ses horreurs.
 
vincy

 
 
 
 

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