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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Funan
France / 2018
06.03.2019
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L’IMAGE RESTANTE
En s’attachant à un couple déporté par le régime des Khmers rouges à son arrivée au pouvoir en avril 1975, puis séparé arbitrairement de son très jeune fils, Funan est l'occasion d'un plongée toute en nuances dans le quotidien des victimes du régime totalitaire de l’Angkar. A travers la vie de ces déportés contraints aux durs travaux des champs, malmenés par les cadres du nouveau régime, sous-alimentés, et sous surveillance permanente, on découvre ainsi la cruauté et la bêtise de cadres qui se raccrochent à des idéaux fallacieux de pureté et d'égalité absolue, l'inhumanité d'un système qui nie toute individualité, puis contamine insidieusement victimes comme bourreaux, l'impuissance de tous, la nécessité de survivre coûte que coûte...
N'étant jamais à charge, si ce n'est contre le système lui-même, le film montre à la fois les gestes cachés de solidarité (deux cadres aident fugacement le couple de protagonistes, les membres de la famille essayent de rester soudés) et l'impossibilité de cette solidarité dans un contexte où se joue, à chaque instant, la survie de chacun, et où il devient tout à coup acceptable d'accepter un viol (parce que le violeur peut fournir de la nourriture) ou de ne pas venir en aide à une enfant (parce qu'elle est la fille d'un des bourreaux).
Il s'agit de l'histoire vraie de la famille du cinéaste, qui s'est attaché, on le sent, à retranscrire toutes les nuances d'une réalité complexe. Là où on aurait pu craindre une certaine forme de complaisance ou de misérabilisme, il préfère la sécheresse narrative de l'ellipse et une mise en scène très ample qui fait la part belle aux vastes paysages comme aux très gros plans sur les visages, et surtout les yeux, de ses personnages. Le regard voilé de cette mère séparée de son enfant se suffit à lui-même, et l'absence devient une forme de fantôme présent en creux à chaque scène, même quand il n'est pas question du petit garçon. Le cinéaste a aussi tenu à ne pas transformer l'histoire douloureuse de ses proches en une matière à suspense facile. Il limite donc ses effets dans une écriture très sobre qui se contente de raconter, au jour le jour, les moments les plus prégnants de ces destins tragiques, où la douleur des uns ne prend jamais le pas sur celle tout aussi réelle des autres.
Denis Do mêle ainsi brillamment la fibre bouleversante du récit intime au témoignage documentaire puissant et sec. Entre l’hommage digne aux victimes, et la célébration de l’indéfectible force de l’être humain, le film est une démonstration du pouvoir du cinéma pour penser (panser) les tragédies les plus terribles du passé, et remettre toujours l’être humain au centre de sa propre histoire.
MpM
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