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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Ray & Liz
/ 2018
10.04.2019
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TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE
Si le contexte social pourrait faire penser à un film britannique classique, avec une classe moyenne précaire et des liens personnels tendus, Ray & Liz est à voir autrement. D’abord parce que le regard du cinéaste Richard Billingham, photographe et artiste, est singulier. Il transpose au cinéma ses thèmes - la famille, les Midlands, sa propre enfance – dans ce récit autobiographique. A l’instar de son livre de photos, "Ray’s A Laugh", il dépeint la vie d’une famille où l’amour semble disparu, où coexistent un père alcoolique et une mère tyrannique.
Ici aucun arc narratif classique ne soutient les fondations fragiles de ce film audacieux. Davantage prouesse esthétique et artistique que drame moral, Ray & Liz est un enchaînement de plans où chaque détail du décor et des costumes comptent autant que la folie passagère qui traverse les personnages. Additionné à des tubes de l’ère Thatcher, le film pourrait un clip expérimental où les photos de l’artiste prennent vie.
C’est une sorte de puzzle dont l’ensemble séduit même si pièce par pièce on s’interroge sur le sens ou l’intérêt de la scène. C’est un film étouffant (on est enfermé dans des espaces clos, on sent le danger s’installer à certains moments, on craint le comportement irrationnel de chacun). On y fume, on y boit, on bataille pour quelques livres (sterling), et parfois, on s’amuse. Le film est claustrophobe, suffoquant, visqueux. On a la sensation de visiter non pas une morgue mais un décor de musée poussiéreux où les marionnettes sont empaillées.
Puzzle décomposé
C’est une Angleterre sale et une famille pas convenable que le réalisateur montre, avec une certaine fierté puisqu’il ne rend personne indigne. Au contraire on sent le désespoir, la détresse, la dérive de chacun.
Il n’y a pas d’amour mais il n’y a aucune haine. Il n’y a pas d’affection, tous sont trop cruels ou passifs pour cela, mais il y a une solidarité induite, invisible qui fait corps.
Dans ce bordel un peu crade et pas vraiment aimable, le film paraît être un cri qui vient de l’intérieur, s’exprimant avec des images et de la musique. Mais on retient surtout la solitude des progénitures face à leurs monstres de parents. Les souvenirs de Billilngham ressurgissent ainsi comme des tableaux où les papiers peints affreux, les insectes et le végétal s’entremêlent dans un même cauchemar gothique et baroque.
Poésie mélancolique
Plastiquement, le film fascine, tant le réalisateur ne fait aucune concession et maîtrise parfaitement le cadre et sa vision. Mais l’errance mémorielle, qui a cette force de nous renvoyer à nos propres souvenirs, trop morcelée, sans lien narratif concret ni enjeu, peut nous perdre dans ce dédale. Et on comprendra ceux qui n’y verront qu’un long ennui voyeuriste. Parfois la frontière est très mince, rendant vulnérable l’intention générale.
Cependant, grâce à des comédiens qui se glissent parfaitement dans la peau de leurs personnages victimes du libéralisme et de la misère qui s’annonce, Ray & Liz, insuffle une tendresse imperceptible à ce passé brumeux, dur et triste. Sans doute parce que le regard est féroce et singulier, qu’il n’y a là aucune complaisance ou volonté de séduire, le cinéaste se sort du piège artistique qu’il s’est tendu. A ce désir d’illustrer ses racines, il préfère finalement la chronique sans queue ni tête d’un journal intime où la vie est trop sérieuse pour être mise entre les mains de n’importe qui.
vincy
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