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LA DOULEUR
« Rien ne devait se passer comme ça. C’est ça la réalité. »
Cœurs ennemis a quelque chose de ses grands mélodrames comme on n’en fait plus, à l’instar du Patient Anglais ou de Reviens-moi. Dans la lignée des Anna Karénine et autres drames romantiques à l’issue incertaine, où la femme est toujours scindée entre deux désirs (l’époux légitime, l’amant passionné, pour faire court), le film suit avant tout le récit d’une reconstruction : celui d’un pays, dévasté, en ruines – l’Allemagne quelques mois après la fin de la seconde guerre mondiale – et celui d’une anglaise, endeuillée par la mort de son fils sous un bombardement, qui ne parvient pas à retrouver goût au bonheur, surtout à Hambourg.
Il est assez rare dans le cinéma de voir les effets de la défaite allemande sur le peuple germanique. Cœurs ennemis a déjà ce mérite de montrer les bâtiments réquisitionnés par les vainqueurs, la misère, le terrorisme des jeunes nostalgiques du IIIe Reich, la fouille des décombres (et les cadavres ensevelis), le chaos finalement, qui régnait à l’époque.
Cet arrière-plan sert de parabole à l’histoire plus intime de Rachael (Keira Knightley, qui, décidément, enrichit son jeu à chaque film). Elle aussi est en proie aux tourments, au chaos émotionnel, écartelée entre sa haine de l’ennemi qui lui a volé son fils et son désir de vouloir revivre, quitte à tomber amoureuse de l’ennemi.
Au bord de l’Elbe, dans une vaste demeure blanche, en plein hiver, la passion va réveiller les rancœurs, les colères, les non-dits, et les amertumes. Cinq personnages qui cohabitent et vont devoir dépasser leurs préjugés, enterrer la hache de guerre, dévoiler leur détresse affective. Par petites touches, par des séquences souvent banales, mais néanmoins très fortes émotionnellement, ce qui rend le film humainement beau.
Ame et pays dévastés
Le titre anglais du film, The Aftermath, signifie les séquelles. Le pays comme les vainqueurs et les vaincus sont en effet à l’état de convalescents, attendant ou cherchant un remède à leurs traumas. L’amour et la paix leur semblent une évidence. Même si on ignore comment y parvenir, ou de quels moyens on va se servir. C’est une époque cathartique, même, si, bizarrement, dans ce film classique autant que classieux, on ne ressent jamais réellement les excès d’une telle épreuve et de ses bouleversements extérieurs comme intérieurs.
Rachael, entre un architecte allemande esthète (et beau) devenu métallurgiste et son époux anglais pacifiste (et loyal), doit faire un choix. Bien plus que la traque des « terroristes » hitlériens qui amène un peu d’action (et le ressort dramatique de l’épilogue), c’est ce dilemme qui sert de fondation à la narration : avec lequel partir, refaire sa vie, retrouver le bonheur ? C’est toute la subtilité de Cœurs ennemis : aucun des deux hommes n’est détestables, ils sont même héroïques et empathiques tout au long du film. Si bien que la décision de cette anglaise, qui pose un regard critique autant sur la communauté britannique méprisante que sur ces allemands si différents et coupables d’horribles crimes, est imprévisible. Peu importe qui elle choisira, le spectateur ne la jugera pas et éprouvera un pincement au cœur pour le perdant.
La fille de l’architecte est elle aussi en proie à un dilemme, entre son affection pour son père et ses idéaux, et son premier amour, un pro-hitlérien qui doucement prend l’emprise sur ses sentiments. Mais là aussi, tout sera de plus en plus nuancé. Et là aussi son choix n’amène aucun jugement, tant on la comprend.
Never let me go
Ce qui conduit Cœurs ennemis à être plus féminin qu’il n’en a l’air. Ce film sur la douleur et le deuil, où rien n’est ni noir ni blanc, dessine une belle évolution des comportements et des tempéraments, mue par l’affect, les pulsions et la mélancolie planante. Il n’y a aucun « salaud », ce qui est salutaire. C’est une histoire de résilience, où chacun lutte contre ses démons. Leurs motifs vont inverser leurs destins et leurs consciences. Ces changements infimes et intimes, une fois que chacun a blâmé l’autre et que les vérités ont été révélées, ne se produisent qu’à travers quelques actes – des preuves d’amour ou de haine. Tout est respectueux et finalement, tout ce petit monde, avec ses failles, s’avère « bon ». De quoi croire encore en l’être humain. Car, finalement, si tout les sépare, on constate que les victimes sont toutes égales dans la souffrance, peu importe le camp auquel il appartient.
vincy
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