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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Tremblements (Temblores)
/ 2019
01.05.2019
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UN AMOUR IMPOSSIBLE
Quatre ans après Ixcanul, le réalisateur guatémaltèque Jayro Bustamente poursuit son observation de l’oppression – et les discriminations qui l’accompagnent – dans la société figée et conservatrice de son pays. Tremblements se focalise sur les dangers d’être homosexuel dans un pays où la religion dicte chacune des opinions et gouverne les mœurs.
« Je ne comprends pas que ça puisse t’arriver »
Le film débute avec un secret qui se révèle subrepticement, sans que le mot honni – homosexuel – ne soit prononcé. La honte d’un homme, un père de famille bien sous tous rapports, et la destruction d’une famille bourgeoise, qui craint pour sa réputation, entrent en conflit dans cette résidence cossue, filmée comme un Gosford Park ou un Downton Abbey. La perfection des apparences masque d’horribles mentalités. C’est visuellement beau et on se croirait dans une soirée de funérailles.
Il ne s’agit pas de comprendre la tentation homosexuelle de ce bon fils, bon époux, bon père. Le rejet est palpable. On le pousse à nier, compromis officiel pour sauver l’honneur. Mentir et laisser le temps faire le reste. « Il ne faut pas que ça s’ébruite » tout comme « il faut préserver le bonheur. » A l’instar de la foi, l’amour ne peut pas être charnel, égoïste. Tout n’est qu’acceptation de la souffrance. Le décor est planté. Le chemin de croix peut commencer. Et le calvaire va être éprouvant. Car Tremblements est une tragédie.
En trois actes. En deux secousses sismiques. Tel des paraboles, chaque tremblement de terra va le faire basculer dans une autre vie. Un renversement qu’on peut attribuer à une punition divine. Frémissements naturels qui secouent son (mal) être. Après un début intense – et le film sera dense jusqu’au bout – comme un déluge qui s’abat sur le spectateur,
«- J’ai merdé.
- C’est la vie
- Le pire c’est que me sens pas si mal »
Jayro Bustamente réalise une œuvre dénonciatrice sans être didactique. En se plaçant du point de vue de la victime, Pablo, qui ne sait pas choisir entre cette vie anticonformiste et libre, où il assume son amour pour Francesco, et son aspiration à conserver sa vie confortable (voir ses enfants, ne pas se fâcher avec son épouse, garder son job bien payé), le réalisateur nous fait traverser son tourbillon émotionnel, ses contradictions. On partage ainsi facilement ses choix, qu’ils nous conviennent ou pas. D’autant que le récit, fluide, ne résout ses dilemmes – mais pas ses tourments – que vers l’épilogue. En distillant un certain suspens sur la manière dont l’histoire pourrait s’achever, en choisissant un camp plus qu’un autre, le cinéaste affirme son opinion face à ce que nous venons de voir.
Outre la famille de Pablo, le film se focalise sur deux autres « clans ». Celui de son amant, masseur, généreux, altruiste, dans un milieu festif, combinard et populaire. Filmé de manière réaliste et naturaliste, avec une caméra presque documentariste, respirant à l’extérieur, intimement dans les intérieurs. Il est insolent et insoumis, d’une classe sociale inférieure : autant dire un danger réel pour l’élite. Et il y a celui de son église, dirigée par un pasteur et sa femme, véritable tyran digne d’une Louise Fletcher dans Vol au-dessus d’un nid de coucou ou de R. Lee Ermey dans Full Metal Jacket, qui dispose d’un arsenal de moyens glaçants et grotesques pour « guérir » de l’homosexualité. Le refuge ecclésiastique ressemble à une prison. C’est de là que les codes et règles sont dictées.
« Tu croyais que c’était facile d’être pédé ? On n’est pas au Luxembourg ! »
Entre les pressions sociale – l’homosexualité est assimilée à la pédophilie et exclu tous les mâles qui « en sont » -, familiale et religieuse, le système devient surpuissant et écrase toute velléité de vivre librement.
Sans être explicite – la première scène de nudité arrive à la 50e minute, la seule scène de sexe surgit au bout d’une heure trente -, Jayro Bustamente installe avec une aisance déconcertante cette histoire d’amour entre deux hommes et leur oppose l’amour familiale hypocrite et conditionnel et l’amour divin dévoyé et dogmatique de la religion.
Dans les carcans moraux qui sévissent, où l’homosexuel représente une menace, Pablo se débat dans une vie dorénavant dévastée. Il est déchiré entre deux mondes. On le juge comme un criminel. Tremblements se mue lentement comme un film à plusieurs lectures, traitant aussi bien de la société inégale que de l’image masculine ou le poids intrusif de la religion.
Pour la famille comme pour la congrégation religieuse, plus proche de la secte, le désir est négatif, synonyme d’enfer mortifère, et il semble impossible de concevoir le bonheur en étant homosexuel. C’est ce lavage de cerveau, cette manipulation de la pensée qui bouleverse dans un premier temps. Et ce jusqu’à avoir la chair de poule quand on constate qu’être gay, « gai », c’est souffrir.
« Le bonheur des hommes passe après la volonté de Dieu »
Et il va souffrir. Non pas en tant qu’homo, mais en tant qu’homme cherchant à ne plus être attiré par les hommes. Les séquences sont ahurissantes et barbares. Dans ce combat contre lui-même, pour ses enfants, contre ses tentations, pour sa réintégration, il y aura des vaincus. Une chose est certaine : le grand perdant sera l’amour. L’absolu, le sentimental comme le sexuel.
Tremblements est une histoire de castration. Une purification qui annihile toute liberté individuelle. C’en est terrifiant. La culpabilité et le péché sont prêchés pour soumettre le misérable humain comme l’image machiste du masculin est érigée en modèle, avec le consentement et le prosélytisme des femmes.
La paix est finalement impossible. On dévitalise un homme plutôt que de l’accepter tel qu’il est. Seule sa fille, symbole d’une nouvelle génération, d’un espoir, le comprend et ne le juge pas. Elle doute de ces fariboles religieuses et regarde le spectre de son père, impuissante.
Le jugement dernier tombe alors comme un couperet. Aucun Loi ne protège les minorités, exclues dans leurs taudis. Aucune foi n’habite ceux qui sont censés la porter, excommuniant les déviants. Aucun moi ou sur-moi n’a le droit de s’épanouir, exfiltrant ainsi toute singularité. On tremble à notre tour de voir cette société vidée d’amour.
vincy
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