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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Ville neuve
Canada / 2018
26.06.2019
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L'AUTRE CÔTÉ DE L'ESPOIR
“Je ne sais pas si j’ai encore envie d’attendre et d’espérer
On est seulement en juin, et Ville neuve est déjà le plus beau film de l’année. Un premier long métrage d’animation, inspiré d’une nouvelle de Raymond Carver, entièrement réalisé à l’encre et au lavis sur papier, en noir et blanc, qui mêle les enjeux intimes aux aspirations collectives pour parler de ces possibles qui sont à portée de main, et qui même s’ils ne se réaliseront peut-être jamais, changent nos vies et la manière dont on les perçoit. Pour les personnages, l’espoir se joue sur deux plans parallèles : les retrouvailles d’un couple qui veut essayer de s’aimer à nouveau, et le mouvement populaire de la campagne référendaire de 1995 pour l’indépendance du Québec.
Construit autour de trois monologues à la beauté saisissante, aussi bien dans leur langue que dans leur propos, et qui nous livrent un instantané fulgurant des sentiments des trois protagonistes, le film capte l’énergie d’une époque dans toute sa complexité et son ambivalence. D’une manière générale, les dialogues, nombreux, sont d’une justesse et d’une finesse d’écriture admirables, à mi-chemin entre l’ironie mordante qui caractérise les êtres revenus de tout et la véhémence des caractères entiers, toujours prêts à se jeter dans la bataille. L’humour fait ainsi jeu égal avec la mélancolie latente et discrète qui baigne le film.
Formellement, Ville neuve est une forme de miracle. On est tout simplement ébloui par la manière dont le réalisateur parvient, sur un format long métrage, à faire tout ce que l’on aime généralement dans le court : se libérer des contraintes narratives ou esthétiques traditionnelles, juxtaposer l’épure d’un cadre presque vide au défi d’un long plan séquence, jouer sur les transparences, recourir à l’abstraction. Expérimenter en toute liberté pour proposer un film qui ne ressemble à aucun autre, et dont chaque choix formel fait écho aux enjeux du récit. Grâce à l’animation, les espaces du rêve, du souvenir, de l’espoir, de l’imaginaire, du collectif et de l’intime cohabitent ainsi à l’écran comme dans l’esprit des personnages.
Ce qui se joue dans le récit, c’est finalement l’avenir d’un couple comme d’un peuple, mais aussi l’affirmation que le possible compte plus que sa réalisation. Le contexte politique parle d’ailleurs en creux de la société québécoise, de ses plaies et de ses désirs, permettant par l’artifice de l’uchronie d’exorciser les défaites du passé. Ce n’est pas la moindre des énergies présentes dans le film, qui semble embrasser en un seul mouvement toutes les trajectoires de la condition humaine, des desseins amoureux aux aspirations sociétales, en passant par la question de la foi en l’art et de sa nécessité, à travers l’hommage à Andreï Roublev de Tarkovski, qui insuffle des échos métaphysiques aux questionnements des personnages.
Peut-être est-ce pour cela que si l’on est si impressionné par Ville neuve, au-delà de sa très grande richesse formelle : parce qu’il semble d’une cohérence absolue, chaque niveau de lecture, chaque élément du récit, et même chaque tonalité entrant en résonance à la fois avec les autres et avec l’ensemble, proposant une oeuvre complète à la complexité infinie, et à la beauté indicible.
MpM
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