Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Ad Astra


USA / 2019

18.09.2019
 



LA VIE NOUS APPARTIENT





Avec Ad Astra, James Gray suit les pas de ses pairs, de Kubrick à Cuaron, en passant par Nolan. L’espace appartient désormais aux cinéastes en quête d’existentiel, loin de la science-fiction d’aventures, même si elle lui emprunte quelques effets.

La trame de l'histoire est assez basique : l’astronaute Roy McBride se propulse jusqu’aux confins du système solaire à la recherche de son père disparu et pour résoudre un mystère qui menace la survie de notre planète. Lors de son voyage, il sera confronté à des révélations mettant en cause la nature même de l’existence humaine, et notre place dans l’univers... C'est particulièrement cette promesse, et son traitement par James Gray qui intrigue de prime abord et qui peut malheureusement décevoir...

Ad Astra, en latin vers les étoiles, se révèle être autant une exploration à travers l'espace qu'une introspection du lien intime entre un fils et son père.

James Gray situe son histoire dans un futur proche qui ressemble en tout point à notre époque : il n’’y aura aucun robot ni gadget SF. L’espace est déjà conquis : divers bâtiments installés sur la Lune, la planète Mars explorée, et, plus loin, vers Neptune, on envoie des fusées. La recherche d'une éventuelle autre forme de vie ou de conscience est un projet porté par la génération d'avant, celle du héros Clifford McBride (Tommy Lee Jones) officiellement disparu. L'astronaute Roy McBride (Brad Pitt) n’est autre que son fils. Ad Astra débute avec un incident très spectaculaire: une chute vertigineuse (sensoriellement éprouvante) depuis une structure spatiale, vers la Terre. Après cette séquence d'ouverture épatante, la base de l'histoire est assez rapidement posée. Un étrange phénomène provoque de graves perturbations électriques entraînant une possible réaction en chaine. Roy McBride doit comprendre l’origine du problème, guidé par une motivation personnelle et familiale. C’est un peu l’inverse de The Lost City of Z, le précédent film du réalisateur (et son chef d’œuvre), où le fils accompagnait le père dans sa mission périlleuse. Ici, c’est bien le fils qui part vers l’inconnu. Mais les deux partagent la même idée d’un mirage après lequel on court. Quant à la malédiction du lien père/fils, elle traverse toute l’œuvre du réalisateur depuis 25 ans.

Une histoire de liens invisibles

Sauf qu’ici, le film est avant tout cérébral. Même si James Gray se sert d’un genre populaire, propre à séduire le grand public : le film « collapsologique » où notre planète est menacée et l'espace devient un territoire de résistance: Armageddon de Michael Bay en 1998 (avec Liv Tyler, que l'on retrouve dans Ad Astra), Space Cowboys de Clint Eastwood en 2000 (avec Tommy Lee Jones et Donald Sutherland, eux aussi dans Ad Astra !), Sunshine de Danny Boyle en 2007 (bijou à revoir), Interstellar de Christopher Nolan en 2014... Tous ont ce lien génétique entre parents et enfants, cette aptitude à se sacrifier pour le collectif, ce rêve d’Icare qui se mue en cauchemar quand on y brûle ses ailes.

Mais Ad Astra se démarque nettement de ce genre démonstratif. S'il y a bien une enquête qui créé le suspens, l'histoire est surtout celle d'une quête intime. Une introspection de ce qui peut relier un homme à sa famille. Ce sont ses liens avec son père, son mentor perdu dans la galaxie, et avec sa femme, restée sur Terre, qui importent au cinéaste.

Bien entendu, comme tout film de voyage spatial, Ad Astra contient quelques éléments communs tels des clichés obligés : conflits entre membres d'équipage ou accident imprévisible et fatal. Cependant, il ne faut pas espérer de grosses scènes d'action explosives, ce n'est d'ailleurs pas le style de James Gray. Certes deux séquences en particulier (une rapide course-poursuite en voitures sur la Lune et une action dans un vaisseau croisé sur la trajectoire) ont été incorporée au film mais elles y figurent sans doute plus pour remplir un cahier des charges de film spectaculaire que par une réelle nécessité du scénario. Il s'agit de deux parenthèses qui n'apportent en fait rien au récit, même si leur mise en scène démontre que Gray sait faire du cinéma, et aime ça.

La narration compte davantage sur la voix-off de Roy McBride qui (se) raconte ses observations. Il doit régulièrement évaluer par lui-même son état psychologique, et il parle toujours avec un minimum d'émotion (qui traduirait presque une déshumanisation, un manque d’émotions justement), à l'instar de ses rapports dictés à la base. Brad Pitt, de plus en plus minimaliste au fil de ses rares films, réalise une performance anti-hollywoodienne, sans outrance, ni excès, avec une retenue sidérale qui accentue l’apesanteur du récit. Une fois de plus, il apparaît comme un dinosaure d’un cinéma en voie de disparition, avec ce 35MM, cette ambition métaphysique et l’absence de super-pouvoirs. Le dernier des Mohicans, avec DiCaprio et Clooney, d’un cinéma ambitieux et adulte.
Par ailleurs, cette voix de Brad Pitt, souvent en analyse, participe beaucoup à rendre le film plus réfléchi que démonstratif. Ce qui ne l'empêche pas d'être épique, et de flirter avec 2001 l'odyssée de l'espace de Kubrick (la référence de tous les cinéastes, mais c'est bien Brian De Palma qui s'en est approché le plus avec Mission to Mars), dès qu'il s'agit de questions existentielles dans une dimension interstellaire.

L'envie d'aventures

Cette odyssée astrale et spatiale se rapproche en fait davantage de Gravity de Alfonso Cuaron en 2013 et First Man: le premier homme sur la Lune de Damien Chazelle en 2018. Ces films se complètent par un lien invisible : le rapport aux siens, l’aspiration à revenir sur Terre, la compréhension de soi-même, entre deux états (le rêve et la réalité, les étoiles et le foyer, la technologie et l’humain). Les formalistes que sont Cuaron et Chazelle (leur patte sur le visuel, le montage, le rythme...), aussi différents soient-ils, ont en quelques sorte redéfini le genre. C'est un peu dans ce champs-là qu'on attendait de voir James Gray et qu'on éprouve une relative déconvenue : avec Ad Astra il semble proposer comme une sorte d'antithèse à la mission (to Mars) de Brian De Palma mais sans lui donner plus de relief...
A l'instar de son précédent film The Lost City Of Z, James Gray (d'ailleurs déjà produit par Brad Pitt) avait raconté une autre forme d'exploration "avec sa part de mystère et de mystique" comme nous l'écrivions à l'époque, "où l'homme est seul face à lui-même, préférant risquer sa vie à avoir vu l'invisible plutôt que de se laisser vivre dans le confort du vécu". Ad Astra est une sorte de variation de ces mêmes thèmes mais dans une autre forme de jungle toute aussi inconnue, celle du système solaire. Le réalisateur signe finalement une belle œuvre sur la solitude des êtres, cette solitude qui traverse tous ses films et envahit tous ses personnages principaux depuis 25 ans... C’est en allant encore plus loin que l’Amazonie, que le cinéaste s’approche étrangement des réponses qu’il cherche depuis Little Odessa.

Car l’aventure, finalement, n’a rien à voir avec l’étoffe d’un héros ou la conquête d’une planète. C’est celle de l’humain : l’amour qui le (trans)porte, l’âge qui le diminue, la mort comme seul tombeau. Comme toujours James Gray réalise un film initiatique (dont la fin dans Ad Astra est un peu trop humaniste pour être convaincante), soit l’histoire d’un homme qui s’émancipe de son enfance pour affronter sa déchéance irrémédiable. C’est tragique car l’existence l’est. Il y a quelque chose de touchant finalement à voir ce Roy conquérant découvrir qu’il a rompu les amarres avec sa femme, avec sa Terre, et aussi avec son père. Seul avec lui-même, dans un cosmos infini où personne ne l’entend pleurer, ce McBride est, à l’instar de Gray, un homme nostalgique des pères du passé – John Ford et consorts -, affligé par les enfants d’aujourd’hui, et isolé dans un univers (hollywoodien), rempli de sa désillusion. Dans ce 7e art infiniment grand, l’astre Gray brille encire, mais le trou noir n’est jamais loin. Il reste condamné à contempler son impuissance devant l’inéluctable.
 
Kristofy

 
 
 
 

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