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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Martin Eden
Italie / 2019
16.10.2019
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QUERELLES
« Le monde est donc plus fort que moi. »
Pietro Marcello a été audacieux. Martin Eden, roman du début du XIXe siècle dans une Californie naissante et bouillonnante, se voit ici transportée à Naples, dans une Italie inégalitaire et fracturée.
Nous voici donc embarqués avec ce beau marin dans un voyage initiatique relativement immobile, où il vogue entre deux femmes, deux cultures, deux mondes, le prolétaire adepte de dogmes socialistes et le bourgeois, libéral et soucieux de conserver ses privilèges. Oscillant ainsi de l’un à l’autre, il va choisir une troisième voie, individualiste et littéraire, son Eden à lui. Ce périple intérieur, ponctué de quelques espoirs et bonheurs, mais surtout de désillusions et de douleurs, le conduira vers un seul constat : on ne peut rien changer, ni le monde, ni les hommes. Eden et l’enfer sartrien.
Formidablement incarné par le sublime Luca Marinelli, qui écrase de sa présence tous les autres comédiens, le personnage attire les regards, mais, à l’instar du film, se perd un peu sur la fin. Les ellipses sont trop brutales, les allégories trop floues. Pietro Marcello ne parvient pas dans le dernier quart du film à restituer autre chose que des images qui cherchent leur sens, en oubliant de véhiculer une émotion ou, au minimum, une adhésion, à cette destinée suicidaire.
Un élan bridé
Entre le néo-réalisme italien réhabilité (on pense à De Sica) et les tableaux d’une Italie aristocratique ressuscitée (on songe à Visconti), Pietro Marcello créé, à sa manière, avec quelques images d’archives en plus, une image et une lumière d’une époque révolue. Sans être moderne, il tente malgré tout de donner une couleur, une tonalité à son œuvre. C’est sans doute là que résident les audaces formelles les plus intéressantes, notamment lorsqu’il use des musiques seventies et populaires (Joe Dassin entre autres). Il ne colle pas à une réalité, tenté par l’universalité de son propos à travers ce collage d’influences a priori sans liens.
Aussi précis dans le portrait des nantis que dans ceux des exploités, le cinéaste démontre parfaitement comment les oubliés de la mondialisation et du libéralisme ne peuvent pas progresser : ignorance, manipulation, cupidité, … Comment les certitudes enferment aussi le raisonnement et empêche toute émancipation.
L’aspect romanesque et romantique est plus classique. Si peu charnel qu’il en est un peu froid. Les personnages féminins sont d’ailleurs assez mal traités et maltraités. Il faut tout le talent de Marinelli pour faire passer les nuances de l’évolution de son personnage, au fil des rencontres. Derrière ce scénario assez classique, le réalisateur s’adapte à son sujet en rejetant toute forme de divertissement populaire au profit d’une réflexion, peut-être un peu vaniteuse, sur le pouvoir des images. Mais cela ne suffit pas à élargir le champ : le film, au contraire, s’enferme dans son style, ses tocs et ne cherche plus la singularité qui le rendait si séduisant. Le déclin de Martin Eden s’illustre finalement avec des séquences beaucoup trop brouillonnes pour nous faire ressentir le mal-être qui s’installe.
Martin Eden s’avère alors comme une chronique d’un pays fracturé, où la loi du plus fort s’impose, et où les esprits libres et les érudits n’ont plus leur place. Un tableau amer et pessimiste : chacun reste dans son camp, dans sa classe, dans son rang. C’est d’autant plus noir que l’absolutiste Martin, marin baiseur devenu aristo décadent, finit emprisonné dans un succès qu’il doit à des écrits de jeunesse. Il ne lui reste plus que l’horizon et la mer, loin de ces misérables hommes qu’il a voulu vainement sauver.
vincy
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