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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Un monde plus grand
France / 2019
30.10.2019
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TRANSE FORMATION
« Cette femme est une chamane. Elle a failli mourir. »
Fabienne Berthaud aime filmer les femmes dont la vie vacille, voire bascule, en dehors de la normalité. Un monde plus grand ne fait pas exception puisqu’en s’inspirant de l’expérience vécue par l’ethnomusicienne Corine Sombrun, elle suit une jeune veuve inconsolable jusque dans les steppes de Mongolie. Là, au cours d’une session chamanique, elle part en transe, découvre l’animal inconnu en elle, et flirte avec les morts.
Dans les draps blancs où s’enveloppent les souvenirs heureux de la chair, Corine (Cécile de France, radieuse et à fleur de peau) plonge dans une douleur insondable. De l’extase aux larmes, il n’y a qu’une ellipse temporelle du cinéma. « I’m cold inside ». »
La cinéaste sait toujours aussi bien sublimer les actrices les plus belles en les « défigurant » par la souffrance qu’elles portent en elle. Leur hypersensibilité sert de moteur au récit. Naturellement, les splendides paysages de Mongolie incitent la réalisatrice à être plus contemplative. Tout comme les rites chamaniques l’obligent à interrompre une éventuelle dramaturgie. C’est en fait dans ces moments-là que son film parvient à nous transporter. Car le contexte / prétexte qui sert de fil conducteur dramatique au scénario est de loin l’élément le plus faible du film.
« C’est pour les esprits. Ils aiment bien la vodka et les clopes. »
On regrette alors que ces scènes de transe ne soient pas plus longues, plus immersives. Si Fabienne Berthaud ne sauve pas un récit trop lisse et convenu, rappelant Ghost, elle réussit à donner du relief à son film dès qu’il s’agit de quitter l’illustration. Elle est en effet davantage inspirée pour manipuler le montage et l’image quand son personnage entre dans une autre dimension spirituelle. Mais c’est surtout la partie scientifique/technique qu’elle filme le mieux, en amenant l’imagerie médicale à un cinéma purement visuel jusqu’à cette séquence finale digne d’un film de science-fiction.
Aussi, on ressort un peu frustré. On aurait aimé voir comment, par sa double culture (la science et la transe), Corine a construit un pont entre des expériences spirituelles ancestrales et des expériences neurologiques ultra-pointues. Le film entrouvre une porte quand on aurait aimé voir l’horizon qui se dessinait devant nous. On aurait aimé découvrir ce « monde plus grand » plutôt que de s’enfermer dans une si terrienne histoire de deuil. Dès lors que son cinéma est plus riche en cherchant à traduire visuellement les étranges sensations provoquées dans/par le cerveau, on se fiche assez du drame romantique, basique, et on se plaît à imaginer une œuvre cathartique, entre surnaturel et science-fiction.
Depuis Franckie en 2005, Fabienne Berthaud maîtrise les névroses et leur conséquences physiques à la manière d’une impressionniste qui observe le hors champs et les marges. Il n’est pas étonnant qu’en se promenant sur des sentiers battus, elle y perde un peu de son âme. Ce qui n’empêche pas l’ironie et la distance nécessaires dès lors qu’on traite de ce sujet. Ce qui n’entrave jamais la beauté et la sincérité qu’elle a voulu insuffler dans ses images.
vincy
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