Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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À couteaux tirés (Knives out)


USA / 2019

27.11.2019
 



UN COUTEAU DANS LE CŒUR





« Regardez cet endroit, on dirait un plateau de Cluedo. »

On oublie son passage par Star Wars. Rian Johnson revient au thriller. Mais ici, aucun effet spécial, pas même la tension de l’action. Le cinéaste se fait plaisir avec un hommage à Agatha Christie. A couteaux tirés en respecte tous les codes : un quasi huis-clos – manoir de Nouvelle Angleterre aussi clinquant qu’inquiétant, casting 5 étoiles, décors à double-sens (cette sculpture de couteaux comme une toile d’araignée), enquête par le verbe, musique adéquate. Ici pas de flingues, et, hormis une vague course-poursuite plus burlesque que stressante, aucune déviation vers un film « hollywoodien » à la James Bond ou Looper.

Et c’est une bonne surprise pour les amateurs du genre. Un écrivain retrouvé mort, égorgé. Une famille remplie de suspects névrosés avec, pour chacun, un bon mobile et des alibis solides. Un détective engagé par un client mystère qui flaire une sale affaire.

Scindé en deux parties, A couteaux tirés brouille les pistes en révélant le coupable évident à la mi-temps. Or, la vérité est ailleurs, ce qui conduira à la réelle démystification, et donc au vrai coupable de cette intrigue. Bien cadré, bien découpé, bien joué (il y a toujours un plaisir coupable à voir ces pantins crétins incarner des personnages menteurs, surtout quand il s’agit de Chris Evans, Jamie Lee Curtis, Don Johnson, Toni Collette et Michael Shannon), le film réussit son coup par sa sobriété formelle. Il ne cherche pas à être tape-à-l’œil. Le réalisateur s’aventure dans une mise en scène plus théâtrale et cérébrale.

Daniel Craig (en détective nommé Blanc, en français dans le texte, car le seul innocent possible ?) rentre ainsi progressivement dans le champ. En arrière plan avant de se mettre au centre du jeu, l’acteur jouit de son rôle pivot, avec une économie de moyens salutaire et une efficacité redoutable, profitant de ses digressions absurdes pour rappeler qu’il peut-être drôle.

Les parasites

Cette belle satire sur la bourgeoisie cupide américaine, entre Family Business et Secrets et mensonges, ne cherche pas à manipuler le spectateur. Il ne se détourne jamais ni de son genre, ni de son enquête. L’intérêt est bien de savoir qui a tué le patriarche milliardaire. Le cinéaste s’amuse avec jubilation, en réanimant le film à énigmes et en réveillant Hitchcock (époque La Corde). Un bon film dans ce style n’a qu’un critère : même si l’on connaît la fin, on peut le revoir. On ne dévoilera pas l’épilogue (et donc la fin), même si on reconnaît au réalisateur cette bonne idée de lui donner un sous-texte social, où les immigrants pauvres prennent leur revanche sur ces Wasps méprisants.

La lutte des classes et la revanche des oubliés/humiliés est une tendance contemporaine du cinéma, qui n’échappe même pas à ce type de films qu’on aurait pu imaginer plus formaté. Or, il n’en est rien. Johnson réussit à insuffler de multiples petits détails pour donner une couleur « politique » à un divertissement classique. Ana de Armas symbolise lumineusement l’espoir qu’un autre monde est possible, même si, à l’instar de Parasite, on comprend vite qu’elle ne fait que répliquer le modèle américain plutôt que de chercher à le faire évoluer.

En insufflant de l’humain (tous ont des failles où l’on peut se reconnaître) et en signant un scénario où chacun est plus dépité et désespéré qu’hargneux et triomphants, le réalisateur partage son observation d’un monde qui s’effondre dès lors que l’on protège des acquis (mal acquis), préférant donner au mérite et à la sincérité la prime au vainqueur. Entre hypocrisie et revanche sociale, cynisme contenu et mécanique bien huilée, A couteaux tirés est de ces films bien écrits, soignés et honnêtes (dans le sens où il ne triche pas avec le spectateur). Et comme chez la reine Agatha Christie, la vérité est une chose, la morale en est une autre. Entre les deux, il y a la justice. Et justement, c’est bien cet entre-deux qui importe pour qu’on puisse ranger les couteaux et tirer le rideau.
 
vincy

 
 
 
 

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