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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Brooklyn Affairs (Motherless Brooklyn)
USA / 2019
04.12.2019
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NY CONFIDENTIAL
« - Gros nénés.
- A vos souhaits ! »
20 ans après Anna, Edward Norton revient derrière la caméra avec un film longtemps en gestation, mélangeant un récit de la littérature américaine contemporaine à des bribes autobiographiques vécues par son grand-père. Il en ressort une fresque « à l’ancienne », flirtant avec le film noir aux sons jazzys, le polar crépusculaire, avec racisme et corruption en arrière-plan, et le thriller engagé où les minorités et les pauvres cherchent à résister aux élites et aux pourris.
La durée du film -2h20- est audacieuse. Mais surtout Edward Norton est ambitieux. Il ne cherche pas à coller à l’air du temps. A l’instar de Scorsese avec The Irishman, le comédien rend lui aussi hommage à un cinéma qui se veut artistique avant tout, qui cherche à démontrer qu’un récit peut exister sans que ce soit binaire, héroïque ou spectaculaire.
Il y a jusqu’au plan final une forme de désenchantement, voire de désillusion. Comme si ce film était une mélodie funèbre à un monde disparu. Norton, qui incarne un orphelin, semble incompris. A cause de son syndrome de la Tourette, à cause de son esprit lent. Il s’offre un rôle à la Rainman dans un film affilié à L.A. Confidential. Cette hybridation, un peu étrange au début, trouve toute sa beauté dans le propos même de l’histoire : la défense des marginaux et des démunis face aux géants et aux puissants, qui, sûrs de leur force, agissent en tyrans.
Ce n’est pas qu’une affaire de justice. C’est avant tout une envie de reconnaissance, un cri pour exister alors que des quartiers vont être dévastés, des vies vont être écrasées. Norton hurle aussi pour que le cinéma qu’il aime puisse survivre, sans être cantonné à un petit écran. Aussi déploie-t-il tous les artifices du cinéma : de beaux décors, de grands acteurs, de la belle musique, et une image stylisée. S’il ne lésine pas sur le rythme et sur un découpage parfois serré, il s’autorise aussi des moments plus calmes, plus installés pour que puisse se développer la psychologie des personnages.
Cinéaste sous influence (de Coppola à Hawks), Edward Norton se fait plaisir avec ce film où les acteurs et les dialogues prennent toute leur place. En évoquant la ségrégation raciale, les expropriations, les délires urbanistiques d’un colérique tout puissant (Moses a des airs de Trump et Baldwin l’incarne avec brio), il donne à son investigation un écho plus moderne. Ce qui ne l’empêche pas d’être romanesque (et d’ailleurs de s’offrir le beau rôle du chevalier servant.
Ce n’est pas tant le danger qui menace d’ailleurs qui l’intéresse, même si, pour garder l’attention du spectateur, il ponctue son film de quelques séquences tendues. Si l’étau se resserre, c’est davantage pour emmener tous ces personnages dans l’impasse, là où nous sommes confrontés aux dilemmes moraux. David, ici, sait qu’il ne peut pas abattre Goliath. Mais il peut aussi ne pas mourir pour sa cause. Blanc parmi les noirs, handicapé sentimental et verbal, il a quelques atouts face à l’impunité du pouvoir et aux divers Judas qui zonent autour.
C’est sans doute cette envie de protéger, valoriser, aimer ces humiliés et ces oubliés qui rend l’œuvre plus belle dans le fond que dans sa forme. Endurant, le réalisateur maîtrise assez bien la longueur. Mais, mieux, il nous conquiert à sa croisade cinématographique en gardant cette foi inaliénable dans un cinéma en voie d’extinction.
vincy
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