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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Les deux papes (The Two Popes)
USA / 2019
20.12.2019
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POPES STARS
« Je n’ai pas transigé. J’ai changé. »
Deux papes aux styles radicalement différents. L’un traditionnaliste, conservateur, malaimé. L’autre progressiste, empathique, disruptif. Les deux papes aurait pu être une pièce de théâtre. Un pas de deux passionnant où le dialogue entre deux conceptions de la religion catholique, ses dogmes comme ses failles, forment une passe d’armes affutées, où chacun expose ses convictions, dans cette fiction théologique. On songe à ces films où deux opposants jouent au chat et à la souris à travers la précision du verbe et des confessions intimes (Diplomatie, Le souper…).
Le match est cependant inégal. Fernando Meirelles donne beaucoup plus de place au cardinal argentin Jorge Bergolio, futur pape François. Au point qu’on y verrait presque un biopic alimenté par des très beaux flash backs sur sa jeunesse, si ceux-ci ne freinaient pas parfois le rythme du film. On est proche de l’hagiographie, même si le cinéaste consacre une partie de son film aux polémiques sur l’attitude du Jésuite durant la dictature. Cependant, le regard reste bienveillant. Cette compassion envers les deux hommes se retrouve aussi dans le portrait de Joseph Ratzinger, le pape Benoît XVI alors en exercice. Le cinéaste n’ose pas imaginer l’horreur de sa confession, dans la sacristie de la Chapelle Sixtine, même si on en comprend la crise de conscience et le sujet (les abus sexuels du prêtre mexicain Martial Marcel).
Amen
Cette miséricorde, qui traverse le film, pour ces deux hommes qui vont se succéder au Vatican se dessine également à travers la vision intime de ces deux vieux hommes, très courtois malgré leurs différents. Meirelles veut nous faire aimer les deux hommes – les doutes de l’un, la solitude de l’autre – en mettant en relief leur quotidien, leurs passe-temps, leurs questionnements sur la foi et sur leur mission. Jonathan Pryce, irréprochable, et Anthony Hopkins, sidérant, incarnent superbement ces deux hommes qui ont en commun à ce moment là d’être prêts à renoncer tous les deux : l’un à la papauté, l’autre au collège cardinalice.
Ratzinger n’entend plus la voix de Dieu et semble dépassé par l’époque. Bergolio ne croit plus en cette Eglise politique et corrompue, et souhaite revenir à une vie plus monacale. Sous nos yeux, au fil de leur rencontre, entre le Castel Gandolfo et Rome, c’est un passage de relais tacite qui s’opère sous nos yeux. Ratzinger sait où il va et mène la danse. En essayant de comprendre son « adversaire », il fait preuve de mea-culpa tout autant que de clairvoyance. Il ne se remet pas en question, il cherche une solution à sa volonté de renonciation.
Ostie
Les répliques sont parfois piquantes. Les mots sonnent justes. Les deux papes a une vertu : celle de rendre l’honneur aux mots et à l’écoute. Derrière se dessine aussi une critique du catholicisme. Meireilles, encore une fois, choisi son camp et dicte son espoir de voir cette religion évoluer avec son époque.
Pour cela, il se sert de son style. Le réalisateur de La cité de Dieu et The Constant Gardener retrouve enfin un sujet inspirant et une mise en scène « pop », au découpage tantôt très serré, tantôt ample, en usant d’artifices décalés bienvenus (le vote du conclave sur Dancing Queen d’Abba vrille vers une forme de satire), d’une dramaturgie classique (Ratzinger et Bergolio seuls dans un salon, avec des airs de cabarets berlinois) ou d’une dimension cinégénique (la reconstitution de la Chapelle Sixtine, somptueuse, offre un décor transcendantal à la transmission d’un pape à l’autre). En jouant la simplicité de l’un contre le faste de l’autre, l’ouverture au peuple contre l’isolement, le cinéaste réalise un film divertissant et intelligent, duel à fleurets mouchetés où il n’y aura aucun perdant.
Mais au-delà du cirque autour du sacré qu’il filme, le cinéaste désacralise complètement la papauté. Le pouvoir qui pèse sur les épaules comme une lourde croix semble même incompatible avec la liberté et la croyance. La curie est une menace fantôme. Les affaires (argent, sexe…) n’épargnent pas leur sacerdoce. Ce sont des hommes comme les autres. Ratzinger le rappelle d’ailleurs. Il y a Dieu et nous sommes des humains, faillibles. En ôtant la notion de perfection et d’idéal que représente le pape, Meirelles privilégie les délices d’une érudition et d’un existentialisme à la ferveur aveugle qui broient la réflexion et l’ignorance. Ce n’est plus une confrontation qui s’impose mais bien un compromis qui s’affirme. Tout l’art de la diplomatie, où seul le pardon est possible pour avancer.
vincy
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