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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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1917
Royaume Uni / 2019
15.01.2019
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LA FIN DE L’INNOCENCE
Après deux James Bond dont ce Skyfall qui fait figure de monument dans la franchise, Sam Mendes revient à une histoire originale et plus personnelle qui nous plonge dans les tranchées de la première guerre mondiale.<
L’homme de théâtre a toujours pris soin de réaliser ses films en pensant à l’image. Bien sûr on retrouve le dramaturge dans sa formidable direction d’acteur – et 1917 ne fait pas exception -, le soin apporté aux décors et aux costumes, une quête exigeante de l’esthétisme, mais aussi cette obsession du mouvement. Que le récit soit contemporain ou passé, on voit bien qu’il ne s’intéresse qu’aux névroses de personnages assujettis et contraints par un système ou des carcans sociologiques.
Ici ce sont deux jeunes soldats qui sont envoyés dans une mission éclair et périlleuse pour éviter un carnage dans leur camp. Ils subissent la guerre qui s’éternise, leur hiérarchie qui n’en peut plus, le temps qui compte et file à toute allure.
Des films sur la première ou la seconde guerre mondiale, il y en a eu. Certains ont marqué les esprits. Il semble toujours difficile de s’y frotter quand on a en tête Il faut sauver le soldat Ryan, Les sentiers de la gloire, Lettres d’Iwo Jima, Le pont de la Rivière Kwai, La grande Illusion, La grande évasion, Un pont trop loin, A l’ouest rien de nouveau, etc…
Et pourtant, Sam Mendes parvient à nous offrir non pas un nouveau point de vue mais une autre manière de filmer cette guerre.
1917 est un faux plan séquence intégral (il y a d’ailleurs une coupe visible, cohérente, qui sert d’ellipse temporelle et plusieurs raccords qu’on peut deviner). Ainsi, avec ce film démarre sur un travelling arrière inversé (il part d’un horizon large pour arriver à un gros plan) et se conclura de manière symétrique par un travelling avant. Dès cette amorce, on ne quittera plus le dormeur du val (George MacKay, décidément prometteur). La caméra ne le lâchera quasiment jamais, avec de belles astuces de placements de caméra et d’acteurs quand il s’agit de changer d’axe. Techniquement, le film est impressionnant.
On est immergé dans ces 24 heures chrono, faussement en temps réel (l’ellipse/black-out nous faisant passer du crépuscule à la fin de nuit). C’est presque un jeu vidéo où nous serions embarqués (embedded), filmant ces deux soldats, tentant d’éviter, à chaque niveau des pièges (planque minée, crash d’avion – saisissant -, sniper…). La psychologie des deux personnages principaux n’a pas beaucoup d’intérêt. Même s’ils sont différents, par leur tempérament comme par leurs motivations, ils n’ont pas le temps de délivrer des discours philosophiques, trop occuper à ne pas mourir et à accomplir leur mission. Il s’agit bien ici, au sens littéral du terme, d’un parcours du combattant.
Sam Mendes nous montre en prologue une prairie verdoyante ponctuée de beaux arbres. Le décor change vite quand ils abordent le no man’s land. Arbres calcinés, chevaux morts, sol boueux, maisons en ruines, cadavres répugnants, corbeaux, rats, village détruit, chien abattu, dramatiquement mis en scène comme un décor de théâtre. Cette laideur révèle l’horreur de la guerre. Mais la désolation est d’autant plus marquante que les épreuves épuisantes qu’ils affrontent peuvent être à chaque fois fatales.
Le réalisateur a pour le coup fabriqué un scénario assez mécanique. Sans doute pour se faciliter un peu la vie avec cette mise en scène très complexe (on pense au chef opérateur qui a dû en baver). Un peu de dialogues en période calme, une séquence toute en suspens et en action (il y en a finalement que six sur deux heures) comme un chapitrage régulier, une rencontre starisée (Colin Firth qui donne l’ordre de la mission, Andrew Scott, Mark Strong, Benedict Cumberbatch, Richard Madden) pour passer le relais. Cette mécanique répétitive, additionnée à la musique un peu trop présente de Thomas Newman, serait presque lourde si la réalisation et la tension ne prenaient pas le dessus.
Le cinéaste s’offre même une scène onirique en enfer, juste après ce long écran noir. A nous de l’interpréter. Ce qui suit peut-être un rêve, alors que le soldat est mort. Ou ce qui est suit est une réalité cauchemardesque.
Après le labyrinthe des tranchées et le dédale de ce bled en charpie, la mission s’accélère comme une folle course contre le temps jusque sur le front (avec un assaut sensationnel en arrière-plan). Film de survie et film de guerre, 1917 n’offre aucune trêve. Le tranquille dormeur du val des débuts est aujourd’hui un homme épuisé, adossé à un arbre. Ici aucun soldat à sauver, aucun sentier vers la gloire. En un tour de force assez virtuose, Sam Mendes a montré comment on peut perdre définitivement son innocence, quand ce n’est pas la vie. Tout ça pour une cause, légitime ou absurde. La mission elle-même semblait vitale et surréaliste après tout.
vincy
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