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TEARS FOR FEARS
« Vous devez paraître irréprochables. »
Jayro Bustamente s’affirme film après film comme l’un des cinéastes latino-américains les plus engagés et les plus passionnants de ces dernières années. Après Ixcanul et Tremblements, sorti il y a quelques mois à peine, le réalisateur guatémaltèque poursuit sa voie dans un cinéma à la fois politique et fantastique, mélodramatique et psychologique.
Avec La Llorana, il s’attaque tout autant à cette élite bourgeoise, catholique, ultra-conservatrice, colonialiste dans l’âme, et à un pouvoir corrompu, tyrannique, méprisant les classes sociales inférieures et exterminant les peuples autochtones.
Le film réagit ainsi à une double déflagration, populaire et familiale, publique et intime. Pour la libération, le réalisateur enferme le spectateur dans une forme de folie et dans lieux clos : un tribunal, une ambulance, et surtout une vaste maison, aussi feutrée qu’assiégée.
On étouffe, et c’est bien l’objectif. A défaut d’aller en prison, le général, et sa famille, sont emprisonnés chez eux. L’atmosphère n’est pas sereine. L’arrivée d’une belle domestique inquiète plus qu’elle ne rassure. Son prénom, Alma, signifie Âme. Personne réelle ou spectre hantant ? Dans ce pays de croyances – les esprits d’antan ou le Christ –, de transes et de prières qui appellent la soif, les pleurs du peuple, les fantômes des victimes et les révélations oniriques vont amener chacun à une prise de conscience et une culpabilité sincère qui serviront à « payer » pour le crime d’un homme inflexible, dont les actes ont été terribles. Il faut tuer le monstre qui nous pourrit le pays et la maison, soit un général droit dans ses bottes, presque sénile, paranoïaque.
Le dictateur
Il est évidemment question d’une société à deux vitesses, de l’injustice subie, et la domestique mystérieuse et silencieuse, jolie naïade mythologique, ne va être que le déclencheur de la mécanique infernale, où l’épouse, pieuse, la fille, écartelée, et la petite fille, insouciante, vont être amenées à trahir leur propre camp, ayant compris que les fautes du père vont les détruire.
Dès le procès, la parole du peuple est libérée. Elle est effrayante, fracturant le pays entre ces blancs chrétiens racistes et ces paysans innocents hostiles. Petit à petit, cohabitant avec le dictateur génocidaire, le mal va pourrir le foyer. Le corps de la mère lâche. Les insomnies gagnent du terrain sur la nuit. Les hallucinations se multiplient. Avec subtilité et sans trop d’effets, le réalisateur parvient à construire une ambiance et un récit qui illustre, et même traduit, les tourments intérieurs et les peurs de chacun.
La Llorana est une déclaration d’amour aux peuples ancestraux de ce petit pays d’Amérique centrale, ces descendants de Mayas. C’est une lettre de pardon où chacun doit expier ses péchés. Avec ses travellings arrières élégants, son esthétique sombre, et ses séquences aquaphiles, le réalisateur enveloppe cette vengeance - la revanche des morts sur leur bourreau – d’un voile qui flirte avec le paranormal.
« Le Guatemala est malade de pleurer ses disparus. » Des larmes qui ne sortent pas aux hurlements de douleurs psalmodiés, des robinets qui s’ouvrent sans qu’on leur demande à cette piscine où on s’immerge pour se couper des bruits du monde, l’apocalypse n’est pas loin, entre invasions de grenouilles et revenants qui zonent. Le passé ressurgit dans les rêves et les plaies s’élargissent. Subrepticement, le réalisateur désagrège ce foyer en apparence si solide, mais dont les fondations étaient pourries. Mais en arrière-plan, c’est aussi le patriarcat et la domination masculine qui sont ébranlées par les mots, les plaintes et les actes des femmes, qui s’unissent dans un grand élan de sororité pour chasser ces hommes démoniaques.
vincy
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