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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Le cas Richard Jewell (Richard Jewell)
USA / 2019
19.02.2020
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THE JEWELL OF THE FILE
"- J'étudie le code pénal tous les soirs.
- Vous devez vous éclater."
Clint Eastwood oscille depuis quelques années sur des variations autour des héros, sombres ou ordinaires, en temps de guerre ou nés d’une situation exceptionnelle. Le cas Richard Jewell, dans la lignée de Sully et Le 15h17 pour Paris se penche sur un homme blanc banal, un peu plouc même, plutôt sympathique malgré son fétichisme pour les armes et son obsession pour la sécurité, qui va devenir le héros du jour en limitant les dégâts d’un attentat à Atlanta, en plein Jeux Olympiques.
C’est une histoire vraie. Mais le cinéaste la modèle à sa manière pour en faire un mélange de thriller et de comédie autour d’un pion – ce gardien de sécurité un peu simplet, révélant l’acteur Paul Walter Hauser - et d’un trio d’ambitieux – un avocat dans le creux de la vague, une journaliste arriviste, un agent du FBI qui cherche à réparer les propres défaillances de son agence. Respectivement Sam Rockwell (charismatique et subtil), Olivia Wilde et Jon Hamm.
A 90 ans, le réalisateur ne ramollit pas. Son film, d’ailleurs, ne manque ni de verve, ni de rythme, nous entraînant avec vivacité dans cet emballement médiatico-judiciaire où le héros se transforme en suspect. Car bien plus que cette forme relativement classique, c’est, comme souvent chez Eastwood, le fond qui intéresse.
Orgueils et préjugés
Car ce que dénonce le cinéaste à travers cette histoire, c’est l’arrogance des pouvoirs (versus le peuple). L’écrasante machine médiatique qui vit pour des exclusivités quitte à jouer les moralistes et les justiciers sans l’ombre d’une preuve, d’une perspective, d’une analyse ou d’une enquête au long cours. L’administration broyeuse d’existences – avec cette séquence courte et drôle où la « police » est assurée par quatre institutions différentes – qui est prête à tout, y compris contourner les règles du droit, manipuler les preuves ou fabriquer des fausses preuves. Eastwood valorise ainsi le bon sens et l’intuition, l’évidence (qui peut être le mot preuve en anglais) et la loi à travers les rôles de l’avocat jamais résigné et sûr de son droit et de la mère du héros-suspect (formidable Kathy Bates, qui en deux scènes vers la fin, démontre tout son talent), effarée par ce système inhumain.
C’est le « petit blanc » très premier degré qui affronte les pouvoirs fédéral et de l’opinion. Un David contre Goliath inégalitaire, matché fondé sur l’injustice. Eastwood aime modeler cette mythologie américaine (comme dans Gran Torino, Sully ou American Sniper pour citer ses films les plus récents) afin d’éclairer sur les failles de cette civilisation américaine. Avec cet affrontement entre un homme du peuple, patriote et chrétien, sans doute plus Trumpiste que démocrate, et deux piliers (pourris) de la démocratie, la presse et le FBI, il fait un tableau assez inquiétant d’un système orwellien où l’individu compte peu.
Quelque chose de Monsieur Smith au Sénat et de l’Extravagant Mr Deeds
Et si Richard Jewell semble si insignifiant – à la fois le héros dont l’Amérique aime se nourrir et le coupable dont cette même Amérique a besoin - c’est bien parce que ceux qui veulent sa perte, entre incompétence et insolence, cynisme et impuissance, sont capables de tout pour livrer un innocent en pâture au peuple, pendant que le véritable coupable prépare son prochain attentat. On pense alors à un autre film du réalisateur, J. Edgar, sur la création du FBI et ses excès de pouvoir et de surveillance des citoyens. On peut ainsi lire dans le bureau de l’avocat un slogan, « I fear government more than I fear terrorism. »
On reste assez admiratifs que ce vieux réac de Clint soit toujours aussi progressiste dans ses films, en défendant l’Etat de droit, en rappelant les fameux droits élémentaires de chacun à être présumé innocent tant que sa culpabilité n’est pas prouvée. D’une danse collective sur la Macarena au pillage de l’appartement de Jewell par les agents du FBI, en passant par le personnage secondaire de la secrétaire de l’avocat, Eastwood réussit toujours à insérer des séquences aux tonalités burlesques ou absurdes pour alléger un récit dramatique et inquiétant. Tout comme il sait trouver de bonnes idées de mise en scène, à l’instar de cette course olympique chronométrée en parallèle de la reconstitution chronométrée elle aussi du parcours du coupable le soir de l’attentat.
Tragiquement, la bombe a tué dans le parc d’Atlanta. Mais la déflagration sur l’existence de Jewell, vieux garçon sympathique vivant chez sa mère, est aussi dramatique : 88 jours en enfer. Eastwood lui rend sa dignité et sa fierté, sans en faire des tonnes (jusqu’à cet épilogue aussi bref et sec que suffisant, sans déployer les violons). Le cas Richard Jewell est bien plus sombre qu’il n’y paraît, en démontrant que le système n’est plus qu’une matrice sans foi ni loi. Le film interpelle le citoyen qui est en nous, qui doit apprendre à se méfier des discours de vérité. Il souligne ce que Blaise Pascal disait : « la vérité est si obscurcie en ces temps et le mensonge si établi, qu’à moins d’aimer la vérité, on ne saurait la reconnaître. »
vincy
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