Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Dark Waters


USA / 2019

26.02.2020
 



UN GÉANT À POÊLE

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«- Tu gobes leurs salades. Tu ne distingues plus le vrai du faux. »

Nous n’attendions pas Todd Haynes sur ce terrain-là, celui des films « lanceurs d’alerte », dans la lignée des Hommes du président d’Alan J. Pakula, Le Mystère Silkwood de Mike Nichols, Révélations de Michael Mann, Erin Brockovich de Steven Soderbergh ou Promised Land de Gus Van Sant.

S’il s’éloigne de ses mélodrames stylisés, Todd Haynes, avec Dark Waters, en conserve certains aspects, notamment cet esthétisme morbide, terne, hivernal qui envahit tout son film, des paysages ruraux, comme abandonnés aux bureaux citadins, comme isolés. Cette atmosphère froide, jusque dans les relations humaine,s où aucun compromis ne semble possible, donne au film une teinte picturale presque triste.

Unsafe

L’autre aspect du cinéma de Todd Haynes se retrouve dans le caractère des personnages. Depuis Safe, le réalisateur observe ces gens ordinaires de la classe moyenne américaine qui sont en lutte contre plus puissants qu’eux, que ce soit la société ou le temps qui passe. Ici, le propos est plus politique : l’ennemi est un empire international de la chimie, dont les ustensiles sont dans chacun des foyers américains, mais dont les produits polluants empoisonnent la nature et les humains. A chaque fois, les anti-héros de Haynes frôlent la folie ou sont atteints de dépression. Dans Dark Waters, l’avocat incarné par Mark Ruffalo n’y échappe pas. On craint même pour sa santé : épuisement, tremblements, tout son corps exprime à la fois la pression subie et la peur d’y passer. Sans parler des citoyens victimes de malformations, de cancer ou d’autres maux.

Ce thriller écolo-légal en apparence classique – David v Goliath – a le mérite d’être porté par des forts tempéraments. Ici les explications sont cash. Personne ne se cache derrière de faux-semblants : il y a va de leurs intérêts, que ce soit le patron du cabinet d’avocat, le patron du groupe incriminé, le paysan victime ou l’épouse du « justicier ». Un justicier pourtant tout ce qu’il y a de conservateur, bon chrétien, dans un cabinet plutôt prêt à défendre les capitalistes. Au fil de la très longue procédure judiciaire, son obsession, enracinée par son lien affectif avec la région polluée, va le faire évoluer, comprenant que le coupable contamine bien au-delà des terres et eaux qui entourent son usine.

Law and disorder

Avec quelques plans, Todd Haynes montre cette Amérique à la fois méprisée des élites et sous perfusion financière de cette usine maudite. L’emprise du grand capital sur les citoyens, qui achète l’ignorance autant que la paix, n’a pas besoin de grands discours didactiques. Le cinéaste préfère l’entre-deux. Cet avocat partagé entre sa carrière et une grande cause, son job et sa famille, son cabinet de Cincinnati et sa ville d’enfance en Virginie occidentale.

Ce que démontre aussi le réalisateur c’est le temps de la justice (et de la santé publique), avec un adversaire qui cherche l’obstruction et des plaignants qui n’ont plus rien à perdre. Le scandale, national, car il touche des biens de grande consommation, est de ceux qui brisent le American Way of Life, et donc ce rêve américain basé sur la production. A coup de poêle tefal, le film décortique une à une les étapes qui vont piéger le géant cynique de la chimie.

Mais, Haynes n’oublie pas les codes du genre : l’hélicoptère qui plane comme une menace au-dessus de la ferme du paysan râleur, une baraque qui brûle accidentellement, la peur de faire démarrer sa voiture dans un parking bien silencieux. Autant d’incidents réels qu’on aurait pu croire fabriqués pour la fiction. Mais ce sont aussi eux qui font progresser la tension, la colère, l’impatience.

Comme un boomerang

Dans ce labyrinthe en eaux troubles, le cinéaste navigue avec maîtrise, exploitant un Mark Ruffalo impressionnant (on craint le surjeu et il s’éclipse derrière son personnage), offrant à Anne Hathaway deux trois scènes justifiant sa présence, intégrant de véritables victimes dans le casting. Alors que dans le récit, tout est fait pour décourager les bonnes âmes et abandonner cette juste cause, le film s’avère à chaque fois combattif, certain de pouvoir atteindre son but - un happy end amer.

Dark Waters n’est pas seulement un film alertant sur les dangers des industries polluantes. Il avertit le public qu’on peut défaire légalement les forces invisibles qui tuent la planète et, ironiquement, leurs clients consommateurs.
 
vincy

 
 
 
 

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