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J’IRAI DANSER SUR TA TOMBE
« On était plus qu’amis... »
Retournons 35 ans en arrière. The Cure et Jeanne Mas sont dans les oreilles. Les jeans estampillés Levi’s sont bleu pâle et dessous les caleçons plutôt amples. Les sweets et polos s’amusent avec toutes sortes de couleurs. Aucun jeune n’est barbu, mais les mèches sont stylées. François Ozon nous offre un voyage dans le temps pour filmer une chronique de l’adolescence touchante et sincère, lumineuse et tragique.
Un amour d’été, en 1985. Un jeune blondinet indécis plutôt doué pour l’écrit et cherchant à tout comprendre. Un beau brun un peu plus âgé et solaire, fonctionnant à l’instinct et aux désirs. Ils vont se lier d’amitié, et largement plus puisqu’il y a affinités.
Il y a du Rohmer, du Téchiné, du Demy dans cette mise en scène d’une romance entre deux solitudes. Des décors aux caresses, des élans (du cœur) à l’ivresse de la vitesse, Ozon cherche à capter l’impalpable et l’invisible qui font que deux corps, deux bouches, deux esprits s’attirent. C’est, de loin, la partie la plus intéressante de son film, portée par deux acteurs radieux, en plein soleil.
Toute première fois
Eté 85 serait presque une histoire banale, estivale et romantique (et un brin nostalgique), avec sa vie provinciale, ses bouffées d’embruns, ses odeurs de barbapapa et ses gaules matinales. Pourtant, d’entrée, Ozon installe un drame. Alexis est menotté, à côté d’un gendarme, prêt à devoir expliquer un « crime ». David est mort.
Le scénario passe alors d’un présent sombre, gris, endeuillé à un rappel d’un passé pas si lointain, ensoleillé, joyeux et sensuel. Ces allers et retours fabriquent un suspens : que s’est-il passé ? On assiste à la fois à la construction d’un amour, d’un certain bonheur, et, simultanément à sa désagrégation et à sa douleur.
Le cinéaste manipule très bien les deux ambiances et les deux temporalités, jusqu’à l’arrivée de Kate, une anglaise jeune fille au pair, qui va, malgré elle, être responsable de la fin de ce bel été.
In Between Days
C’est là qu’Eté 85 perd beaucoup de sa justesse, affaiblissant considérablement le scénario. Outre le stéréotype du personnage de cette jeune fille klapischienne, elle amène un didactisme assez lourd, expliquant avec une psychologie simpliste chacun des faits survenus. Non seulement elle brise leur amour, mais, en plus, elle casse l’alchimie qui s’opérait dans le film entre tous les personnages. Comme si elle était une intruse, une pièce rapportée servant à justifier ce qu’on devinait, à mettre en mots ce que les images savaient signifier. Comme si on gâchait les souvenirs ou les questionnements avec des explications cartésiennes et descriptives.
C’est d’autant plus perturbant que ce rôle mal écrit contraste avec la subtilité des seconds-rôles, à commencer par les deux mères, toutes deux formidables, Valeria Bruni-Tedeschi en veuve un peu déglinguée, et Isabelle Nanty en mère courage abimée. Et il ne faut pas oublier les deux « pères » d’Alexis, le vrai paternel, un peu obtus mais aimant, et le professeur, médiateur et émancipateur. Ils incarnent finement une séparation des classes sociales qui ne dit jamais son nom.
Cruel Summer
Eté 85 s’affaisse de lui-même, encore, lorsque la vérité est connue. Tout ça pour ça. On se dit alors qu’il y a eu surdramatisation et que la chronique amoureuse suffisait pour faire un beau film. Le désarroi d’Alexis et des adultes devient alors celui du spectateur…
Heureusement, deux moments de grâce surgissent de la noirceur, quand Alexis ne danse plus en boîte face à David et quand il danse au cimetière sur David. Dans les deux cas, nous sommes envahis sensoriellement par la chanson Sailing de Rod Stewart. « Can you hear me? Can you hear me? Through the dark night, far away I am dying, forever crying To be with you, who can say ».
Là, en effet, le cinéaste retrouve une des clefs de son cinéma de l’intime, quand la mort répond à l’amour, quand la solitude se commue en duo fusionnel. Alexis n’est pas dingue, comme on nous l’annonce au début. Il est juste un naufragé qui a trouvé puis perdu son sauveteur. Un amour de vacances, aussi éphémère qu’inoubliable, aussi marquant qu’insaisissable. Cet été sous le soleil, nuageux sur la fin, aurait pu être davantage bouleversant, retournant et tempétueux. Frustrant notre aspiration à être profondément ému, François Ozon a préféré une forme de douce mélancolie, avec un léger vent dans les voiles.
« We are sailing... »
vincy
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