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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Tiempo después
Espagne / 2019
22.07.2020
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CITRONS, AMOUR ET REVOLUTION
“Vous vous souvenez de l’émoi général le jour où toutes les valeurs traditionnelles de la gauche tombèrent dans l’oubli à cause d’un dérèglement idéologique stérilisateur et d’une praxis politique d’un pragmatisme insultant ?”
Dans la séquence d’ouverture de Tiempo después, une voix-off prévient le spectateur : on est en 9177 (“à mille ans près”), aussi ne faut-il pas s’étonner des “étrangetés” que l’on pourrait voir ou entendre. Et, à vrai dire, les étrangetés, pour ne pas dire les incongruités, ne manquent pas. Le dernier long métrage de José Luis Cuerda, notamment réalisateur du culte Amanece, que no es poco (L’aube, c’est pas trop tôt), est en effet une dystopie survitaminée dans laquelle le système économique et financier tel qu’on le connaît a atteint une forme d’apogée surréaliste. D’un côté, une poignée de survivants issus des classes aisées vivent dans le seul bâtiment officiel de la planète, régi par la concurrence et l’acceptation stricte des règles (stupides). De l’autre, les représentants des classes populaires habitent des cabanes branlantes au milieu des bois, livrés à eux-mêmes. Les deux mondes n’ont aucune raison de se croiser, et encore moins de se mélanger. La rencontre aura pourtant lieu lorsque l’un des laissés-pour-compte, José Maria, se présente au bâtiment officiel pour y vendre sa citronnade artisanale.
Certes, la tonalité du récit n’est pas d’une extrême légèreté. Les dialogues sont parfois un peu poussifs, les situations semblent en permanence outrées, les personnages font l’effet d’archétypes allégoriques. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la satire ne s’embarrasse pas d’avancer cachée. Au contraire, elle tire joyeusement à boulets rouges sur la société espagnole en général et sur le monde capitaliste en particulier, sans se préoccuper d’en faire des tonnes. Il faut d’ailleurs souligner que le film parvient à garder cette ligne généreuse, presque gourmande, jusqu’à son épilogue, sans jamais céder à la tentation de rentrer dans le rang, ou de terminer sur une note plus consensuelle.
Son finale n’en est que plus profond dans sa dénonciation d’un système qui triomphe systématiquement, que cela soit par la force et la violence, ou par la ruse et l’assimilation. Le capitalisme est ainsi décrit comme un piège mortel qui digère tout ce qui s’en approche, individus comme idées. Une fois passés à la moulinette de cette implacable machine, tous réapparaissent identiques, formatés et affadis. Et donc inoffensifs.
Malgré son humour et son énergie, Tiempo después s’avère alors d’une noirceur surprenante. Dépassant son statut de fable faussement naïve et caricaturale, il brosse un portrait au vitriol de l’Espagne, avec sa hiérarchie figée (incarnée ici par la figure du Roi et des différents corps militaires, mais aussi évidemment par son clergé fanatique - à l’exception des deux religieux révolutionnaires) qui rappelle l’époque franquiste. Il pose surtout une multitude de questions concrètes sur des sujets généralement théoriques : comment battre le système à son propre jeu ? Comment instaurer un changement durable et bénéfique ? Comment briser le cercle vicieux de l'exploitation ? Si le film ne donne pas de réponse clef en mains, il suggère des pistes, qui passent par le refus en bloc du système (la fuite), l’art (la poésie est un refuge) et l’amour (qui ne connaît pas de classes). C’est peu, mais c’est finalement beaucoup quand la situation semble aussi désespérée.
MpM
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