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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Un pays qui se tient sage
France / 2020
30.09.2020
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UNE HISTOIRE DE VIOLENCE
On connaît l’engagement du journaliste David Dufresne pour documenter et faire connaître les violences policières qui se sont multipliées en France depuis la naissance du mouvement des Gilets Jaunes il y a près de deux ans. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il propose un documentaire sur ce sujet brûlant dont la réalité est aujourd’hui encore régulièrement contestée par le pouvoir. On aurait pu, à ce titre, craindre qu’Un pays qui se tient sage soit un film basiquement à charge, triste catalogue de faits et de victimes, qui se serait avant tout adressé aux convaincus, et aurait pu être facilement balayé d’un revers de la main par ceux qui nient l’existence de manquements graves de la part des forces de l’ordre.
Evidemment, il n’en est rien, David Dufresne proposant au contraire une réflexion historique sur la question de la légitimité de la violence physique exercée par l’Etat, telle que théorisée par Max Weber et invitant des personnalités diverses (sociologues, historiens, écrivains, mais aussi manifestants et policiers) à se confronter aux images des violences contemporaines tout en s’interrogeant sur la source de ces violences, leur justification légale, ou encore leur causalité.
C’est un travail colossal et indispensable qui permet de décortiquer des images devenues lancinantes sur les réseaux sociaux et prétextes à polémique dans les émissions télévisées. Le film montre parfois des scènes d’une insupportable violence, poussant même le représentant des forces de l’ordre à admettre un doute sur leur légitimité. Il démontre aussi, lors d’une séquence extrêmement puissante, que la question du partage de territoire entre policiers et manifestants est particulièrement codifiée, presque chorégraphiée, les seconds attendant que les premiers soient hors d’atteinte pour les prendre en chasse, au lieu de profiter de son avantage pour les attaquer frontalement.
Les témoignages des manifestants blessés sont également d’une grande force, qu’il s’agisse de cette jeune femme qui énumère les autres formes de violence économique et sociale exercées par l’état, ou de cet homme qui pardonne au policier qui l’a mutilé. Le film insiste en effet à plusieurs reprises sur la manière dont les policiers sont eux-mêmes sacrifiés par un état qui les envoie en première ligne sans se soucier des conséquences que cette situation de guerre larvée peut avoir sur eux.Il opère ainsi une sorte de rapprochement entre manifestants et représentants des forces de l’ordre, montrant que leur opposition est purement formelle, matérialisée par l’artifice de l’uniforme, alors que les deux “camps” ont plus en commun qu’avec ceux que les premiers contestent, et que les seconds protègent. Comme dans la majorité des guerres.
Un pays qui se tient sage est donc un film nécessaire et indispensable, qui prend au moment de sa sortie une acuité encore plus forte. Alors que le gouvernement veut rendre illégale la diffusion des images non floutées des forces de l’ordre, il fait en effet la démonstration du pouvoir que confère aux citoyens la possibilité de réaliser et de diffuser ces images, mais aussi leur nécessité absolue pour offrir un contrechamp aux communications et doctrines officielles.
MpM
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