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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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The Magdalene Sisters
Royaume Uni / 2002
05.02.03
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FILLES PERDUES CHEVEUX GRAS
“- Délivres moi de l’imposture et de la tromperie des Hommes !"
Lorsque le choc est passé, on ne sait ce qui nous a le plus frappé : la vérité des faits qui inspirent le film ou le traitement de cette histoire. A chaque fois, cela produit le même effet : qu’elle soit accusée de pédophilie, de collaboration avec le nazisme ou encore d’esclavagisme, les faces sombres de l’Eglise catholique nous remuent.
Peter Mullan porte évidemment un regard critique, mais aussi intense, douloureux, rempli de souffrance et de rage, sur cette pratique théocratique et tyrannique qui a rendue coupable des innocentes. Même si la faute revient à la dévotion, l’ignorance, l’arrogance ou tout autre mal damné de la terre, la religion n’a aucune excuse pour les dommages causés. Si le film s’achève sur un regard de haine, une défiance, à l’égard de la religion, c’est qu’elle la méritée.
Entre cupidité et orgueil, les soeurs renient leur foi et leur vocation, en profitant d’une cohésion Etat-Eglise-croyants/citoyens, où l’on juge les mauvaises filles à l’image qu’elles renvoient. Qu’elles soient belles, mères avant le mariage ou violées, elles ne font que représenter la tentation, le sexe, le mal qu’elles peuvent causer. Faiblesse des hommes, les mâles les répudient d’autant plus facilement qu’ils ne s’accusent jamais des pêchés commis.
Mullan, subtil, réalise par conséquent un des plus beaux films sur les femmes, et la condition féminine. Avec une réelle maîtrise, il installe très rapidement les ambiances, les contextes. Les jeux de regards, les sons couvrant le bruit des paroles, l’image nue dit tout, révèle même en creux les failles de chacun.
Il ne prend pas de gants : la violence des coups, le sang qui blesse la chair, rien ne nous est épargné. L’esprit du calvaire de Marie-Madeleine est détourné par des nanties qui exploitent des filles handicapées ou trop légères, devenues pénitentes de force. Prisonnières. Ce bruit de chaîne n’est pas celui des matons mais bien les croix qui résonnent en marchant. Le sens est le même : un lien qui étouffe la liberté individuelle.
La vie dans ces couvents un peu spéciaux n’avait rien de plaisant. Cette industrie du nettoyage de linge était en fait une opération de lavage de cerveau. La domination, les humiliations sadiques, la provocation mentale en font un univers abominable. Loin d’esthétiser cette meurtrissure, le réalisateur la montre crue. Cela ne l’empêche pas de nous en mettre plein la vue, avec des plans magnifiques, des instants crispants très forts, des verbes qui ont autant d’impact que des images. Son pamphlet blasphématoire, ode à la liberté, est une incantation, à l’instar de ce chant gueulé a capella, où Crispina pointe son doigt vers le prêtre et lui jette un sort : "You’re not a man of God !" répète-t-elle, sans discontinuer.
Les séquences sont d’un cynisme et d’une violence psychologique rares. Là encore on ne sait si ce sont les coups et blessures qui frappent le plus ou bien ces mots destructeurs qui assassinent. Il s’agit sans doute de l’amalgame des deux qui conduit le spectateur à une forme de nausée sur cette religion qui ne devrait pas se mêler des moeurs.
Bizarrement, le film ne manque pas d’humanisme au milieu de toutes ces atrocités. Il n’a pas non plus ce défaut hollywoodien de l’esprit de vengeance ; cependant, la rédemption, et en tout cas le désir de revanche est bien présent.
L’hommage à ces pauvres femmes est vibrant et réussi. On pense évidemment à Vol au dessus d’un nid de coucou. Certaines atteindront la liberté, courront à travers champs, d’autres finiront mortes ou aliénées. Aucune scène n’est inutile. La fluidité de chacun des événements est écrit avec logique. Mais derrière cette histoire poignante, ce script solide et une interprétation hors-pair, il y a un talent indéniable de savoir occuper chaque plan, sans fioritures, et de nous amener à comprendre l’horreur indicible et le sacrifice invisible. Les pêcheuses ne sont pas celles qu’on croit : l’habit ne fait pas la soeur. On est presqu'heureux quand ce cauchemar s'achève. Parce que nous savons qu'il est passé. vincy
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