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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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A la petite semaine
France / 2003
25.06.03
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LE GOÛT DES POTES
"- Mais t’es malade des nerfs !"
Après l’embourgeoisement d’un couple dans Kennedy et moi, comédie grinçante sur le temps qui passe, (déjà) brillamment portée par ses comédiens, Sam Karmann nous déroute des belles nationales pour nous perdre dans les faubourgs prolétariens. Les visages se multiplient, les angoisses, en apparence très différentes, s’accrochent pourtant à des soucis identiques. Le temps passe toujours, il n’est plus rythmé par les enfants mais par les passages en prison. L’ennui est omniprésent. Les personnages ne cherchent qu’à le combler. Ici on délaisse les belles américaines pour de la ferraille plus avenante, pour éviter la routine d’un boulot asservissant.
Nous sommes là dans un univers familier. Entre Cuisine et Dépendances où Karmann tentait d’orchestrer sa petite troupe et le bistro d’Un air de famille, quartier général obligatoire. Le langage est argotique, avec l’accent titi parisien. Tout cela a du "verbe" (un vrai plaisir) comme un vin peut être charnu.
Mais là où Kennedy s’égarait dans les méandres d’une mélancolie sereine et dépressive, Karmann a préféré une frénésie plus palpable, plus urbaine. La vivacité de sa mise en scène, caméra à l’épaule, voulant saisir quelques instants de grâce, de vie, l’a conduit à faire évoluer son travail de réalisateur, et à lui donner une ampleur qui donne au final un film généreux, bien construit, autour d’une partition peu évidente. Le film s’inscrit dans le réel, mais n’hésite pas à dévier dans le lyrique. Tout est scénarisé, écrit pour que les comédiens jouissent de leur statut, avec des bons mots en bouche et la gueule en plein écran. Nous ne sommes finalement pas si loin de l’Hôtel du Nord... C’est dire.
Qu’ils aient une scène (intense), plusieurs petites séquences (fugitives) ou des rôles majeurs, les acteurs s’en donnent à c¦ur joie et habitent instinctivement leurs personnages. D’un simple regard ou d’une crispation de leurs mâchoires, on devine le problème, la fatigue, l’exaspération, le souci, l’échec qu’on va nous annoncer. La caméra cadre gros plan sur ces mâles ou ces femmes qui encaissent les chocs et les douleurs au lieu de parler ou d’hurler.
L’implication, morale comme psychologique, est si palpable, qu’on est entraîné malgré nous dans ces jeux de flouze et de blues. Même les plus antipathiques nous arrachent de la tendresse. Car si les mâles ont (a priori) la grosse part du gâteau - rien à dire : Lanvin en vieil héros fatigué à la Ventura, Gamblin et Cornillac sont plus que parfaits - les femmes nous touchent, immanquablement. Liliane Rover mérite un César à elle toute seule. Elles voudraient tant les sauver, leurs hommes. Elles les aiment tant aussi pour ce qu’ils sont, des mecs faillibles. On sent le dialogue difficile, la rédemption inatteignable, la communion insatisfaite à jamais. Les rares rayons de lumière dans ce Saint Ouen de plomb et de béton sont vite obscurcies par l’urgence à aboyer, la pression du pèze et finalement le virus d’une forme de délinquance. Que le cinéaste ne juge jamais, heureusement. Car l’intention n’est pas tant le portrait de cette France un peu en marge du système. Comme dans son précédent film, et à l’instar de la plupart de ses personnages d’acteur, Karmann s’intéresse à la communication entre les petits êtres humains. Une communication qui s’avère complexe, peu évidente, très gênée. Chacun a des choses à dire à l’autre, beaucoup, mais n’ose pas, n’y parvienne pas, ayant trop peur du jugement, du regard. Du coup les silences pèsent lourd. Ils pèsent même de l’or. La valeur du silence révèle en creux l’importance d’une vérité. Ou l’énormité d’un secret.
S’affranchir des préjugés est sans aucun doute le plus important défi de ces fauves indomptables qui finissent au zoo, dans leurs cages à barreaux. De petits voleurs en gros caïds, de vieux loups en chiens fougueux, Karmann signe là une très belle illustration de la recherche d’une masculinité perdue. Ce mâle qui se perd dans un monde où ses repères se désagrègent et où les femmes commencent à faire davantage la loi que les flics. Le jeu a changé. Mais il est au coeur de ce film noir, avec quelques éclaircies sur les bords. vincy
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