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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Son frère
France / 2003
10.09.03
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LES CORPS TROP PATIENTS
"- Infographiste, c’est ça. Je ne sais pas bien ce que c’est mais quand je vous vois, je me dis que ça doit être passionnant."
Il y a un lien invisible avec Intimacy, le précédent film de Chéreau, et cette commande pour la chaîne de télévision ARTE. Il approfondit davantage le rapport aux corps, filme au plus près la peau, sous toutes ses coutures : tatouée, blessée, charcutée, boutonneuse, nerveuse, graisseuse... Des cicatrices aux veines, des poils aux rides, cette enveloppe charnelle n’a plus de secrets. Comme si la caméra du réalisateur lui offrait la possibilité de prolonger son regard de metteur en scène. Pour nous la dévoiler, Chéreau continue de zoomer sur les comédiens, visages émaciés et corps délabrés. À l'opposé de ses ¦uvres baroques des années 90, il nous plonge dans un drame très sobre : sans excès musical, sans passion verbale. Il n’y a pas un moment de dérision. Mais jamais le pathos n’est dérangeant, superflu ou même pitoyable.
Pourtant ce film est sombre et morbide. De voir Todeschini en loque humaine, de franchir les tabous d’une certaine pudeur, de transformer les acteurs en simples objets créent un malaise. Nulle sensualité même dans l’acte sexuel. Clinique, glacial. Tout ramène le corps à son état animal ou en tout cas chirurgical. Les allers et retours dans le temps n’aide pas le spectateur à s’accoutumer au déclin du malade. Nous sommes immergés dans cette dureté, sans anesthésie.
À partir d’un scénario bien écrit (et très écrit même), Chéreau nous fait voyager dans un état comateux, silencieux, où deux frères, beaux bruns ténébreux dans la trentaine, vont essayer de renouer avec leur affection distendue par la vie. Il enferme ses personnages dans une pièce ou dans leur corps, facilitant ainsi leur confrontation. Dans les rapports humains, tout sonne juste. Cette précision montre à quel point l’écriture cinématographique de Chéreau est parvenue à maturité. Hormis le personnage de Nathalie Boutefeu, qui récite un texte plus qu’elle ne vit ses dialogues, les comédiens sont tous sur la bonne note ; avec son sens du casting, le cinéaste nous fait rencontrer en quelques scènes parfois de véritables personnages (de Catherine Ferran à Maurice Garrel).
Bien sûr, on se laisse davantage séduire par ces regards perdus (de ceux qui voient la mort de près) et ses mots irréfléchis (qui illustrent la lutte entre le pragmatisme et le compassionnel). Mais rien n’est beau dans ce film. Si ce n’est le malade - attirance bizarre - et la relation fraternelle. Chéreau refuse la complaisance, réfute toute séduction et pourtant rien n’est gratuit, tout est pensé, y compris un certain esthétisme à travers certaines belles séquences éclairées par Eric Gautier ou encore cette longue et mémorable scène de rasage. Son frère prend ses racines dans L’Homme Blessé, est l’anti-corps de Ceux qui m’aiment prendront le train, et tisse son lien familial avec Intimité. Sorte de synthèse d’une filmographie dramatique sur des relations humaines âpres. Il continue de définir le couple, l’amour, la sexualité.
Le cinéma de Chéreau est en phase avec son époque : dépressif. Sa chronique, où les sentiments sont ciselés au scalpel, sa belle histoire d’amour et de partage, où les deux comédiens donnent toute la dimension de leur jeu, sa vision très réaliste, pour ne pas dire documentaire, du milieu hospitalier, rien ne nous évade de cette plage au ciel gris, où l’océan froid nous empêche de nous y baigner nu. vincy
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