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L'ESPION QUI N'AVAIT PAS LE CHOIX
"- Quand Noë a construit son arche? Avant le déluge."
Spy Game est une oeuvre hybride, mélangeant les époques (années 70, 80, 90), mixant les souvenirs cinématographiques (films d'espionnage, films de guerre), fusionnant deux formes de cinéma - le politique et l'action.
A ce titre, la chronologie et la mise en exergue d'événements historiques (Vietnam, Berlin Est, Liban, Chine) auraient mérité un traitement plus original, plus fidèle à ces périodes. De même le "rajeunissement" des acteurs est peu crédible. Redford a autant de rides et de bide en 76 qu'en 91. A cela s'ajoute quelques surenchères de style, comme la surdramatisation du temps (un plan arrêté, noir et blanc, avec l'heure qui s'affiche) et on frôlerait presque le ridicule. Enfin, visuellement, on nage dans le cliché : flash back en bleu grisé, image pseudo techno traitée comme dans Enemy of the State, etc...
Pourtant, malgré ces excès ou ces défauts, dont on ne s'étonne plus venant de Tony Scott - ancien prince de la pub, confondant la forme avec le fond - Spy Game est un thriller palpitant, presque passionnant, où l'on passe plus de temps à la réflexion, à maîtriser le temps, qu'à plonger dans l'action. Cette dernière n'est là que pour ponctuer le film et surtout mettre un lien entre Redford et Pitt, qui ne se croisent qu'à travers le passé. A l'instar de Boorman, il essaie de rendre le film d'espion plus intelligent, moins manichéen.
Ce passé est mouvementé, romanesque, aventureux. C'est un général à abattre au Vietnam, un transfuge qui doit passer à Berlin Ouest, un terroriste à tuer en plein Beyrouth. Il y a le maître et l'élève, le cynique et l'idéaliste, deux espions très doués qui travaillent ensemble pendant 10 ans.
Et puis il y a le présent. 24 heures de la vie dun homme, un agent de la CIA qui part à la retraite. Cette obsession du compte-à-rebours est une donnée trop souvent utilisée dans les films et téléfilms américains. Il est censé nous stresser. Or, ce qui est intéressant dans Spy Game c'est qu'il s'agit d'un jeu de dupes patient, axé sous trois angles.
Premièrement, toutes les discussions qui permettent de justifier l'intérêt général. Ici Redford témoigne en sachant pertinamment que son futur ex-employeur, la CIA, ne veut que des preuves pour se déculpabiliser d'un crime.
Deuxièmement, les ambitions politiques de chacun : la Chine, les Etats Unis, les fonctionnaires de la CIA, entre ceux de la vieille école (le temps de la guerre froide) et ceux de la nouvelle ère à venir. Ces clivages vont amener les anciens à prouver que leur expérience et leurs méthodes ont été fortement utiles au pays. Même si elles n'ont aucun sens aujourd'hui.
Troisièmement, la décision d'un homme, malin, qui n'a plus rien à perdre et qui veut sauver, malgré ses supérieurs, l'homme piégé dans ce bordel diplomatique. Il connaît tous les moyens utilisables, tous les outils, et s'en sert à l'insue de son propre employeur.
Du coup le cinéaste superpose, avec un montage habile et déstructuré, les quatre temps : le passé et les trois actions simultanées. Cette course contre la montre, avant tout intellectuelle, a un tempo parfait. Le scénario a une mécanique bien huilée, proche des livres de Tom Clancy. La CIA est présentée ici comme une sorte de héros dont on a la nostalgie; d'autant plus à la lumière de ses résultats récents.
Le film doit beaucoup plus à Redford qu'à Scott. Si son duo avec Pitt est évident et réussi, Robert Redford excelle davantage dans toutes ses scènes en solo. Dans un rôle proche de celui qu'il avait dans Les hommes du Président ou Les experts, il impose une présence, son mystère, son intelligence, une certaine arrogance de ceux qui se savent un peu supérieurs. Il habite chacune des scènes, et n'a pas besoin de courses entre les bombes ou de poursuites en voiture pour donner une pulsion à ce film divertissant et pas ennuyant.
Spy Game est un jeu, dangereux et parfois crédible, qui puise ses sources dans des fantasmes d'adolescents, jusque dans le choix des acteurs, de leurs missions et de la solution expéditive pour un happy end de rigueur. Un produit fade artistiquement, mais une fiction captivante. vincy
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