Ecran Noir, le cine-zine de vos nuits blanches
Septembre 98

SOMMAIRE Opinions Cannes

Rappel historique : le verbe divertir contient plusieurs acceptions :

1/ détourner, éloigner
2/ soustraire à son profit
3/ distraire en récréant

En philosophie, le mot distraction signifie occupation qui détourne l’homme de penser aux problèmes essentiels qui devraient le préoccuper.

Volute productions 1996-1998]

    Des Vessies pour des Lanternes... (II)

    A l’époque de la Renaissance, les oeuvres les plus prisées du public étaient les peintures en trompe-l’oeil. Pendant ce temps, de Vinci, Michel-Ange, Van Eyck, Botticelli, Mantegna, Raphaël peignaient...

    Top Modèle
    Le produit dans la forme : montage syncopé injustifié façon clip MTV, bande-son assourdissante, accumulation d'effets spéciaux, combinaisons de stars représentant proportionnellement le pourcentage des ethnies composantes du pays (la A-liste), héros caricatures de BD ou top model sortis des pages de Vogue Hommes (dernier en date : Ben Affleck) et " histoire-leimotiv " cachent difficilement l'absence de rythme du montage et de choix de mise en scène. Saupoudrer lourdement d'une B.O. (tendance paramilitaire ou package de tubes pop) qui n'a d'utilité que de vous faire penser à acheter le disque et vous voilà avec la recette du pudding marketing !
    Seulement, le pudding c'est bon mais à la longue, c'est lourd.
    Dans ces "mauvais-mauvais films" note Emmanuel Bourdeau (Cahiers du cinéma n°526), "toutes les composantes jouent le même air, les unes sur les autres, l'image étant traduite en mots par le dialogue , en sons par la musique, en mouvement par la camera, etc.", ce qui amène inéluctablement à un appauvrissement du langage de l'image.
    Emotions téléguidées, cinéma d'effets sans style, personnages stéréotypés ; à force de vouloir tout montrer, tout expliciter, on en oublie ce qui fait l'intérêt premier du cinéma : suggérer, évoquer, ressentir...
    Cette constante dans le cinéma américain actuel révèle moins la part belle faite à l'image gratuite, aux coups de théâtre et au sur jeu des acteurs que le mépris de la mise en scène comme pouvoir de manipulation de l'image, comme moteur du récit et de l'émotion. Toute la différence entre une série télé et un film.
    Au final, ce type de cinéma ne dit rien de plus que ce qu'il nous montre. C'est plutôt déprimant lorsque l'on connaît le pouvoir d'évocation du cinéma, premier art multimédia s'il en est... De fait, on touche ici le principal écueil du cinéma post-moderne : croire que l'histoire fait tout ! Faux ! Ce n'est pas l'histoire qui importe mais la manière dont elle est racontée (c.f. Hitchcock)
    "Pour qu'une chose semble digne d'intérêt d'être filmée, il faut qu'elle soit conforme à ce qui a déjà été vu dans d'autres films" déplore K. Jones. Outre la pauvreté des sujets, le cinéma se déconnecte de plus en plus de la réalité, celle-ci n'étant plus une source d'inspiration. Au contraire la fiction fait désormais référence à elle-même (avec des films dont la mode est à l'autocitation ou l'autoparodie) ou s'attache à extrapoler des faits divers et le réel n'a plus comme seul choix que de l'imiter. Cela engendre des attitudes de mimétisme entre le réel et l'espace de la fiction. Dans Sexcrimes les ados jouent les adultes : "C'est la vie, et non le cinéma, qui est devenu maniériste."
    Cette possibilité de croire que le réel est toujours réductible à la fiction se traduit souvent dans les films par un « effet de réalité » qu'il faut savoir évacuer pour conscientiser l'illusion première d'une fiction.
    Et ce n'est pas sans conséquence sur l'équilibre du spectateur.

    Portrait- robot du spectateur
    Le marketing a pour but de toucher le plus de monde possible et a pour conséquence aggravante l'allongement la période dite "d'adolescence" du spectateur moyen. En clair, à 5 ans on vous berce avec Le Roi Lion et à 30 piges bien tassées on vous catapulte le cul dans le Space Mountain . Et comme généralement les premiers sont les enfants des deuxièmes...
    Ces films-attractions, qui sont à comparer aux rides, rassemblent autant les ados attardés que les adultes frustrés . Mais tous consentants. Pour s'en défendre, les aficionados interrogées à la sortie des salles d'un film qui fait l'événement ; mais qui en est rarement un ; vous répètent le même refrain, les mêmes inepties : "c'est super cool, y'a de l'action, çà va vite" et pour peu qu'on leur dise que c'est un peu léger pour faire de cela un film, ils vous rétorquent " qu'il faut prendre çà au premier degré par l'humour ". Il en résulte un sentiment malsain mêlé de frime et de contentement.
    Pour le même Kent Jones, "la destruction en règle, détaillée à plaisir, des grands édifices ou monuments visibles est à rapprocher de l'exploitation faite par le cinéma du mythe du tueur en série : c'est peut-être là le comble de la passivité du spectateur". Dans ce genre de cinéma, le système d'identification du spectateur est sollicité à plein temps pour ne fournir qu'une « émotion » par procuration et déboucher sur un excutoire virtuel.
    Virtualité d'une émotion sans conséquence passée, présente ou future, qui n'implique en aucun cas la conscience du voyeur, ne touche pas à son intégrité ni ne l'incite à mener une quelconque réflexion personnelle en adjectivant ce qu'il a vu.
    C'est ce qu'explique parfaitement Marie-José Mondzain, docteur en philosophie et directrice de recherche au CNRS, en prenant l'exemple de la télévision : "le fonctionnement de la télévision tend à couper systématiquement le sujet de sa pensée et de sa parole. Le dispositif fait exactement ce qu'Aristote dénonce (...) Privé de la possibilité de faire la différence entre ce que l'on voit et ce que l'on est, la seule issue est l'identification massive, c'est-à-dire la régression ou la soumission." [lire absolument l'article du Monde du 08/09/1998, rubrique Horizons-entretiens]

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C.L.C.