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David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Coeurs transis ou coeurs brisés, en un clic fixez sa cote.
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L’ÉTERNEL GRAND BLOND
« Le réalisme nous plaque au sol, et moi j’aime l’envolée, comme Icare, quitte à chuter comme lui. Qu’importe la chute, qu’importe de se retrouver par terre, on y voit d’autant mieux les étoiles. »
Ils sont peu d’acteurs français à pouvoir s’enorgueillir d’être populaire dans leur pays comme à l’étranger, de rester culte au fil des décennies, d’être sacralisé par la profession tout en n’ayant jamais renié le genre souvent méprisé de la comédie. Pierre Richard est incontestablement de ceux-là. En 1972, il devient à jamais un grand blond avec une chaussure noire : soit un Français lambda, maladroit, pris dans une machinerie infernale. Son insouciance et sa bienveillance vont être des armes redoutables. Neuf ans plus tard, toujours dans le même registre, il approfondit ce personnage de malchanceux piégé dans une aventure qu’il n’aurait jamais du vivre, avec La chèvre, son plus gros succès avec plus de 7 millions d’entrées.
Pierre Richard est arrivé après Fernandel et Louis de Funès, en pleine période des Charlots et des Sous-Doués, et a connu son apogée quand le Splendid et le Café de la gare révolutionnaient le rire. Il est à part. A l’écart des mouvements et secousses tectoniques de l’humour hexagonal. Sans doute parce qu’il ne vient pas de là. Frisé et blond, longiligne et séduisant, Pierre Richard, issu d’un milieu bourgeois, élevé par sa mère et ses grands-pères (son père lui aura manqué toute sa vie), vit dans un château et subit une éducation catholique. Du genre la famille Le Quesnoy dans La Vie est un long fleuve tranquille.
Très vite attiré par le cinéma, où il s’évade quand il est jeune, amoureux des artistes américains capables de chanter, danser et jouer. Sa vocation est née. Mais il doit rassurer sa famille et apprend la kinésithérapie. Sans aucun doute très utile pour rendre son corps souple et malléable. Cette élasticité va devenir sa marque de fabrique, héritant ainsi d’une présence « cartoonesque » qui ont fait le succès de Jacques Tati, Buster Keaton ou Harold Lloyd.
Les malheurs d’un distrait
De cabaret en music-hall, de premières parties (notamment George Brassens) en petits rôles, il se fait un nom. On l’aperçoit dans Alexandre le Bienheureux à la fin des années 1960. Mais pour le cinéma, les propositions sont rares. Il décide donc d’écrire et de réaliser lui-même pour se donner le premier rôle. Le distrait. Titre on ne peut plus emblématique, qui sera presque sa marque de fabrique. En 1970, le film enregistre 1,4 million d’entrées. Produit par Yves Robert, il va trouver là son frère d’armes. « T'es pas un acteur, t'es un personnage. Fais ton cinéma toi-même » lui expliquait le producteur-réalisateur. Il enchaîne avec le satirique Les Malheurs d’Alfred, portrait au vitriol des divertissements télévisés, et autre succès avec 1,3 million de spectateurs. Yves Robert l’engage alors pour être son fameux Grand Blond, qu’il a imaginé avec le jeune Francis Veber. Richard incarne un violoniste qui enchaîne les gags malgré lui au milieu d’un double règlement de comptes (entre deux rivaux des services de renseignement et avec son meilleur ami cocufié). Le film devient culte : de la musique de Vladimir Cosma, aux petites phrases de Bertrand Blier, en passant par la célèbre robe de Mireille Darc, échancrée jusqu’aux fesses. Pierre Richard devient une vedette avec ce film (3,4 millions de spectateurs). Une suite sortira deux ans plus tard, avec moins de succès. Entre temps, il lance sa boîte de prod (Fideline), et réalise Je sais rien mais je dirai tout, et change de genre en acceptant des films moins comiques comme Juliette et Juliette (800000 entrées), Un nuage entre les dents (un flop) et Les naufragés de l’île de la tortue de Jacques Rozier (un immense bide). Le public ne le suit pas. Il préfère le voir en trublion bousculant les élites, comme dans La moutarde me monte au nez de Claude Zidi (3,7 millions de spectateurs), avec Jane Birkin.
Francis et François
Zidi lui fera faire La course à l’échalote l’année suivante, toujours avec Jane Birkin. Près de 3 millions de Français le suivent. Bankable, tous les réalisateurs de comédie le veulent. En 1976, il se laisse diriger par George Lautner dans On aura tout vu, succès modeste mais néanmoins fondateur. En effet, le scénario est signé de Francis Veber et Richard incarne un certain François Perrin. Cette comédie sur le milieu du X reste mineure. Mais la rencontre avec Veber et le personnage de Perrin va s’avérer décisive dans la carrière de Richard.
Veber réalise son premier film en 1976 : Le jouet, où Richard reprend ce personnage de grand naïf dans un monde hostile aux rêveurs. Comme le Lautner, le film attire 1,3 million de spectateurs. Mais Pierre Richard, film après film, excelle un peu plus dans son style. On ne peut y voir en apparence qu’une figure burlesque, un clown qui se révèle drôle dans les mésaventures qu’il subit. Mais en fait, il est un anti-héros lunaire et anarchiste, étrangement subversif, rebelle même, dans des comédies qui dénonçaient les individualismes, le consumérisme, ou même le repli sur soi. La poésie se mêle au rire, l'absurde compromet les tenants de l'ordre. Il est un grain de sable, à la Chaplin, dans les Temps modernes.
Il repasse derrière la caméra avec Je suis timide mais je me soigne (2,5 millions de spectateurs), où, là encore, un handicap comportemental/psychologique l’oblige à braver les vents contraires. En acceptant de tourner pour le maître du rire, Gérard Oury, il poursuit cette lignée de personnages embarqués hors de sa routine : La carapate (2,9 millions de spectateurs) lui permet aussi de jouer avec Victor Lanoux, son vieux compère des premières scènes de troubadours. Il retrouve Oury dans Le coup du parapluie, entre espionnage et farce (1980, 2,4 millions d’entrées). Réalisateur de pub ou acteur de réclame, scénariste de vaudeville ou participant à des jeux télés, l’univers de Pierre Richard est souvent ludique et divertissant, où la fuite est souvent une manière de se trouver. C’est de nouveau le cas avec C’est pas moi, c’est lui, avec Aldo Maccione, son Bourvil à lui (c’est-à-dire son opposé : un mec sûr de lui, dragueur, etc…). Un autre succès qui clôt une décennie tourbillonnante.
Un trio pour une trilogie d’anthologie
C’est alors que Francis Veber fait de nouveau appel à lui pour être François Perrin dans La Chèvre. La chèvre (l’appât) c’est lui : le mec qui a la poisse en permanence, tout comme la fille de son patron, qui vient d’être kidnappée au Mexique. Pour la retrouver, Gérard Depardieu, comme Victor Lanoux ou Aldo Maccione, joue le « dur » de service, celui à qui rien ne résiste. Ce buddy-movie à l’américaine est de loin le meilleur film de Pierre Richard et le duo avec Depardieu, parce qu’il joue sur leur antagonisme, fonctionne à merveille. 7 millions d’entrées plus tard, Veber change François Perrin en François Pignon et s’attèle à l’écriture d’un autre film (Les compères, 4,8 millions de spectateurs) et d’une fin de trilogie (Les fugitifs, 4,5 millions de spectateurs). Si les trois récits n’ont rien à voir, les deux acteurs composent une même partition : leurs tempéraments déteignent progressivement l’un sur l’autre.
Richard se repose alors un peu sur sa notoriété. Star du box office, il abandonne la réalisation, se laisse aller avec un mauvais film d’Yves Robert (Le jumeau) et une catastrophe de Claude Zidi (Les rois du gag). L’humour a changé dans ces années 1980. Le Père Noël est une ordure est passé par là et le Splendid est au top. De Funès est mort. Belmondo joue des gros bras entre deux répliques comiques. La comédie pure ne fonctionne plus au box office : les Français préfèrent le rire sentimental (Trois hommes et un couffin), le rire Nul, le rire social (La vie est un long fleuve tranquille), le rire Polar (Les ripoux) ou le rire gros bras (L’as des as, Les spécialistes). En fait Pierre Richard est tout seul : les Charlots, les sous-doués, les gendarmes ont disparu. François Perrin est le seul personnage comique qui attire encore des millions de spectateurs dans les salles.
La série d’échecs
Logiquement, l’acteur a envie d’autre chose après quasiment vingt ans de tournages sans interruption. Il choisit des projets plus personnels : un documentaire sur Che Guevarra (Parlez-moi du Che), Mangeclous d’après le roman d’Albert Cohen… Une fois de plus, le public ne veut pas le voir dans ce genre de rôles. Des années 1990 à 2018, Pierre Richard n’a jamais arrêté de tourner : de passage dans un film, en doublage pour un dessin animé, la plupart du temps en second-rôle. Il a préféré cette liberté. Cette diversification aussi. Psychiatre d’un meurtrier (Michel Piccoli) dans La cavale des fous, pasteur professeur d’échec dans La partie d’échecs (avec Catherine Deneuve), grand Chef dans la tragédie géorgienne Les mille et une recettes du cuisinier amoureux (prix d’interprétation à Karlovy-Vary), riche homme convoité dans Mariées mais pas trop (avec de nouveau Jane Birkin), aristocrate ruiné en fin de vie dans En attendant le déluge (avec Anna Mouglalis), il s’oriente vers des drames romanesques ou romantiques, qui permettent de découvrir un comédien aux nuances infinies.
On comprend sa douleur intérieure en regardant sa dernière réalisation, Droit dans le mur (1997) : Il y interprète Romain, autrefois une des plus grandes stars du milieu comique. Las, plus aucun de ses spectacles ne fait recette. Ayant déjà dépensé toute sa fortune puis vendu de fait sa belle propriété, voyant tout le monde l'abandonner, il accepte de jouer le Cyrano de sa sœur dans un théâtre quelconque de la banlieue parisienne... Tout est dit.
Richard 1er
Mais il a son aura. Les César le ressuscitent en lui décernant un César d’honneur en 2006. Lui qui n’a jamais été nommé est enfin reconnu pour sa contribution artistique. Pour ce jeu physique si flamboyant. Pour cette écriture si fine, même si les mises en scène étaient parfois approximative. Tout le monde veut filmer Pierre Richard, vieux Merlin grisonnant, vestige de souvenirs d’enfances. Que ce soit Pierre-François Martin-Laval (Essaye-moi, King Guillaume), Eric Barbier (Le serpent, film très noir où il joue un avocat), Christophe Barratier (Faubourg 36), Thomas Gilou (Victor), Eric Besnard (Mes héros), Stéphane Robelin (Et si on vivait tous ensemble ? avec Jane Fonda), Abel et Gordon (Paris pieds nus), Nicolas Bary (Le petit Spirou). Voisin envahissant, ami fidèle, grand père fantasque : il reste attachant en toutes circonstances.
Depuis Les fugitifs, Pierre Richard a surtout choisi de revenir au théâtre. Jouant du Woody Allen, de Georges Feydeau, du Oscar Castro ou, cette année d’Ingrid Astier. Il a surtout fait salles combles avec ses propres pièces, inspirées de sa vie et coécrites avec Christophe Duthuron (et même avec Pierre Palmade pour Pierre et fils). Il se trouve ainsi des héritiers, des filiations.
Pas étonnant alors que Sophie Marceau, la plus populaire des actrices, y compris à l’étranger, l’enrôle pour Mme Mills une voisine si parfaite. L’acteur se déguise en vieille américaine excentrique : toujours cette envie de jouer à l’anglo-saxonne, en se grimant, en jouant des identités, en étant un grand artisan de la petite arnaque. Mais le comédien retrouve surtout le succès populaire avec La Ch’tite famille de Dany Boon, énorme hit, où il est évidemment le père de la star actuelle du rire. La transmission est évidente.
Et ne le croyez pas gâteux comme dans le film. Ce poète a lancé pendant un an sa propre web-TV. Il est toujours aussi bordélique, a perdu ses boucles blondes (une anesthésie a rendu ses cheveux raides), il reste décontracté, gaffeur par plaisir, étourdi par jeu. Cet octogénaire qui continue de faire du music-hall veut continuer à s’amuser. Adulé en Russie et en Amérique latine, il rigole encore du mépris subit par les critiques. Au moins, se réjouit-il, la reconnaissance est venue de son vivant, sur le tard, certes, contrairement à De Funès, dont on a attendu la mort pour le célébrer à sa juste valeur.
Mais la critique l’a blessé, incontestablement, enlevant le peu de confiance qu’il avait en lui : « Je regrette de ne pas avoir eu plus de pugnacité pour approfondir mon propre sillon, d'avoir abandonné ce qui m'intéressait le plus : la critique des absurdités du monde moderne » expliquait-il, il y a quelques années.
Entre scène et voyages (chez les Inuits et en Afrique), il a conservé sa sincérité, son appétence pour la vie et son métier, sa détestation du cynisme. Ecologiste et anti-fric, il voit bien que le monde tourne mal. Mais lui reste en pleine forme. Le pied léger, en baskets, même aux César quand on l’ovationne debout.
vincy
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