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David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Coeurs transis ou coeurs brisés, en un clic fixez sa cote.
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DES ELEPHANTS ET DES HOMMES
Il est libre Gus. Sans attache. En vrai, l’homme est plus indépendant que son cinéma. Ignoré du grand public lorsque l’expérimentation prend le pas sur son oeuvre, grotesquement décrié lorsqu’il s’essaye aux productions plus traditionnelles – pourtant pas académiques – Gus Van Sant a de son coté les amis de la liberté, ainsi que certains jurys cannois. Même lorsqu’il cède à la logique des studios, c’est pour en ressortir grandi. En quatre films d’affilée, il en fait le tour : Columbia, Miramax, Universal puis la Paramount, pour Prête à tout, Will Hunting, A la rencontre de Forester et Psycho. Les trois derniers films, l’air de rien mais à y regarder de plus près, forment une sorte de thèse légère, d’expérimentation au long cours sur le maniérisme et l’identité au cinéma. L’œuvre de GVS est comme une vie réussie, paradoxale et cohérente. Ce qui pourrait paraître, à y réfléchir vite, un contresens, pire, un aveuglement, trouve dans son art cinématographique une cohérence et une justesse salutaires : la décadence toxicomane ou la neurasthénie amère de ses personnages se double toujours d’une attitude manifestement humaniste.
Rares sont les cinéastes qui déclament, caméra à la main, avec autant de véracité, leur amour pour ceux qu’ils filment. Comme lui-même, les personnages, pourtant engoncés dans une condition, un age, une sexualité désespérés, ne sombrent jamais dans le nihilisme moral (mis à part les deux hurluberlus d’Elephant). Certes, l’adolescence est observée du fin fond de son spleen originel mais lorsqu’elle dérape à petite ou grande échelle (de la drogue au meurtre massif) c’est dans la douceur, le calme et l’attente de jours meilleurs. Après tout, l’existentialisme, même névrotique, n’est-elle pas un humanisme ? Parfois même les meilleurs jours ne se font pas tant attendre et affleurent dans le cadre même du film. Le salut semble alors se trouver dans l’extrême intelligence. Comme ses personnages de Will Hunting et A la rencontre de Forester, GVS est-il lui-même un petit génie, un quasi-autiste ? De sa vie, de son intimité, il ne dévoile jamais rien. Par pudeur sans doute mais par raison aussi. « Tout est dans mes films », se plait-il à dire.
On sait cependant qu’il naît en 1952, à Louisville, dans le Kentuky. Son amour pour la peinture le conduit à beaucoup voyager en Europe, après avoir obtenu son diplôme de la « Rhode Island School of Design » (en 1970). Installé à Los Angeles, en 76, il devient assistant de production et commence à réaliser de nombreux courts-métrages. GVS fréquente la jeunesse déshéritée et les marginaux de la métropole puis devient leur metteur en scène. En 1985, il produit et réalise son premier long-métrage. Le très rare Mala Noche raconte les amours éperdues d’un couple homosexuel en 16 mm noir et blanc. La technique, en particulier le jeu d’acteur et la sonorisation, y est encore rudimentaire mais les afflictions y sont déjà exprimés avec profondeur et sensibilité.
Remarqué par les studios, GVS préfère déménager vers Portland où il réalisera deux projets médités de longue date qui le consacreront auteur indépendant majeur du ciné ricain. En 1989, dans Drugstor Cowboy, avec Matt Dillon, un de ses thèmes récurrents apparaît : dans ce road movie réaliste, contant le parcours d’une dérive toxicomane, une famille artificielle de jeunes solitaires se recompose, dans un univers emprunté à Burroughs. Les deux écorchés vifs de My Own Private Idaho trouvent aussi l’un en l’autre le minimum vital de fraternité et d'harmonie, à défaut de mère pour Mike, à défaut de sentiment pour Scott (respectivement, le regretté River Phœnix et Keanu Reeves). Par la suite, à l’image du « Henry IV » de Shakespeare, dont ce film, résolument culte, est inspiré, Scott trouvera en un certain Bob Pigeon une substitution à son riche père biologique haï.
Après le ratage - malgré son casting - de l’effarant Even Cowgirls Get the Blues (une jeune femme aux pouces énormes traverse les USA en stop), GVS accepte les avances d’Hollywood et réalise, en 1995, Prête à tout. Nicole Kidman, effrayante, obtient le Golden Globe de la meilleur actrice pour son interprétation d’une allumée monomaniaque, déterminée à devenir star à la télé. Le film et son thème éminemment sociétal vaut surtout pour le grand malaise qui se diffuse à mesure que la folie et le pathétisme du personnage se révèle.
En 1996, GVS connaît son plus gros succès commercial à ce jour. A partir du scénario habilement fomenté par Matt Damon et Ben Affleck, deux jeunes acteurs encore peu connus, Will Hunting lui permet de renouer avec son motif de prédilection : l’adolescence, notoirement difficile. Ce beau film au désabusement philanthrope lui offre la reconnaissance quasi oscarisée et une liberté de mouvement toujours plus grande. En 1997, il ne se prive d’ailleurs pas d’écrire un roman : « Pink ».
Avec A la rencontre de Forester, il poursuit alors son investigation dans le monde des asociaux supérieurs, cette fois par le biais de la littérature et de la lutte des couleurs. L’ado noir du ghetto, confronté à la figure du maître, en la personne de Sean Connery, pauvre fortuné du destin, tient à bout de bras l’espérance de ce film siamois de Will Hunting, peut-être encore plus beau et doux.
Entre temps, intercalé, comme théorème de cette trilogie identitaire, gavée de mentor et de model, véritable ode lyrique au plus grand pervers du cinéma, Psycho est la redite plan par plan de l'immuable cauchemar hitchcockien. L’idée aura d’ailleurs fait, en son temps, en plus de couler de l’encre, d'insignes émules hexagonales en la personne de Pierre Huyghe et son Fenêtre sur cour.
GVS, enfin à la tête d’un petit empire d’indépendance et d’auteur en grand, se lance, en 2000, dans la première tranche de son ultime triptyque, à ce jour. Sur un malentendu, il emprunte le titre Elephant à un film anglais (d’Alan Clarke) qu’il avait pris pour l’illustration d’une parabole bouddhiste. Dans celle-ci, chacun y observe un éléphant de trop près qui se résume du coup pour l’un à une grande oreille, pour l’autre à une trompe, etc. Les événements mythologiques de Columbine y sont pour lui l’occasion d’une fable ténébreuse et lapidaire sur l’imperméabilité et la violence de la jeunesse américaine. Le coup d’essai est un coup de maître et l’éléphant revient en Amérique à Palme.
Tourné avant Elephant, Gerry égrène les pérégrinations arides de Casey Affleck et de l’excellent Matt Damon. Le désert métaphysico-arizonien permet à GVS de filmer son grand poème existentiel. Beckett et Antonioni s’y cachent derrière les rochers. Enfin, présenté à Cannes, son récit à peine déguisé des derniers jours de Kurt Cobain appelle la curiosité de tout bon citoyen du cinéma. Le no futur affligeant y gagnera sans doute encore en froideur métallique, caractéristique du cap Seattle. Filmographie en cours de développement et buzz cannois oblige, des nouvelles toujours plus arty de Gus Van Sant ne tarderont pas.
Axel
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