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David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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PETIT DIABLE ET MONSTRE DU RIRE
Dans la grande tradition de la Comedia dell'arte, Roberto Benigni, apprenti magicien, clown de profession, bouffon du cinéma européen, aime à changer de masque et faire le pitre par de simples gestes. Certes il flirte du côté de Chaplin (mêmes idéaux politiques gauchistes) et Keaton (même utopie romantique). Mais Benigni est surtout l'héritier des Carlo Goldoni (des individus en proie à leur destin), Carlo Gozzi (la satire d'une société contemporaine) et Dario Fo. Il incarne à la fois Arlequin, joyeux et sensé, Polichinelle, trublion sautillant, Pedrolino (Pierrot), romantique transi, les vieillards citadins, les soldats fanfarons et couards, les amoureux ingénus et ingénieux. Comme Kubrick avec son Peter Sellers, Federico Fellini avait son Roberto Benigni : "C'est un génie" disait-il. Alea jacta est.
Drôle, loquace, comique, italien jusque dans ses excès, il est, depuis Marcello Mastroïanni, l'artiste italien le plus connu dans le monde. Si le grand Marcello symbolisait la séduction du latin lover, le petit Roberto a conquis la planète au forceps du rire et des larmes. La vita è bella (La vie est belle) pourrait être le titre de sa filmographie tant son film l'a propulsé parmi les étoiles du cinéma. De Martin Scorsese lui donnant un Grand Prix du Jury cannois à l'Oscar du meilleur acteur reçu quelques mois plus tard, Benigni aura connu un sentier de la gloire admirable et rare. On peut ne pas être sensible à ses frasques. Néanmoins, un comédien qui reçoit l'Oscar pour un rôle comique, il n'y en a eu que quatre : Gable, Stewart, Marvin et Dreyfuss. Excusez du peu. Et s'il n'est pas le premier acteur italien à gagner la statuette, Benigni fut le premier à la brandir pour un rôle non anglophone!
Pourtant, il parle anglais. D'ailleurs, la notoriété internationale de Benigni a commencé avec des cinéastes américains comme Jim Jarmusch puis Blake Edwards. Mais cela faisait alors une quinzaine d'années que le comique bourlinguait en son pays. Il début à 10 ans. Précoce gamin de Toscane, issu d'une famille modeste, seul garçon, et le plus jeune, parmi ses trois soeurs, des amis paysans lui demandent d'improviser un poème chanté lors d'une soirée. A Florence, il apprend la magie comme apprenti. Mais il envisage d'être prêtre. Séminariste, il abandonne la vocation lorsque l'école se fait inondée. Une séquence tragique qui en devient burlesque a posteriori. Il a 16 ans quand le directeur d'une troupe de théâtre expérimental l'entend clamer un discours politique satirique dans un square. Trois ans plus tard, toutes les voies y menant, il part à Rome. C'est par la satire que tout commença, dans la comédie I Burosaui. Il a tout juste 20 ans. il devient une vedette de la télévision à la fin des années 70. Dans la série Televacca, il chanta un texte paillard qui fit sensation. La série fut aussitôt censurée. Pas vraiment respectueux, l'humoriste frôle la crucifixion lorsqu'il se moque de Jean Paul II, pape de son état. Bannissement du petit écran en 82. Incorrigible. Ce coco communiste anticlérical n'est pas franchement politiquement correct. Ne l'a jamais été. Ne le sera jamais. Il pratique l'irrévérence comme il parodie les révérences lors des remises de prix.
Entre temps, grâce à Giuseppe Bertollucci, fils du poète Attilio, frère du cinéaste "anticonformiste, Bernardo, il fait ses premiers pas au cinéma. 1976 (oui il y a un léger flash back pour des raisons de structure textuelle). Berlinguer Ti voglio bene (Berlinguer je t'aime). Le scénario est, entre autres, l'adaptation d'un de ses monologues, Cioni Mario Di Gaspare Fu Giulia. Berlinguer était le nom du secrétaire Général du Parti Communiste Italien. Que Benigni décoinça un jour, en public, en le prenant dans ses bras; comme il fera une génuflexion devant Scorsese, on voit ici que le "pitre" respecte davantage les maîtres du 7ème Art que les décideurs de nos démocraties. Dans l'émission spéciale télévisée Onda Libera, il était un critique de cinéma qui ne comprenait jamais les films ou qui oubliait de les voir. L'anti Pasolini. Il enchaînera avec une série TV, un film de l'autre Bertolucci, un Costa-Gavras et deux Ferreri. Il y a pire comme débuts. Et si aujourd'hui l'auteur Benigni a écrasé l'acteur, il est bon de rappeler qu'il a tourné, très vite, avec des cinéastes marquants, au moment où le cinéma italien entonnait son Requiem. Tandis que la télévision le rejette pour "papophobie", que le cinéma italien a perdu sa splendeur, Benigni décide d'écrire et de réaliser son premier film. Tu mi turbi (Tu me troubles). Assemblage de quatre sketches hilarants qui lui permet de rencontrer sa future femme/muse/associée, l'actrice Nicoletta Braschi. De la scène à l'écran et vice versa il n'y a qu'un pas. Il retrouve Giuseppe Bertolucci pour réaliser la captation de son One Man Show culte, Tuttobenigni (en 1985). Tout Benigni, est-ce possible?
1986 est l'année du second cap. 10 ans après ses débuts filmiques. Il vient de réaliser son second film, joli succès. Et Jim Jarmusch, qui débute, tout juste auréolé de sa Caméra d'or, l'enrôle pour Down by law, où il croise Ellen Barkin et Tom Waits. Ils font, ensemble, le court métrage désopilant, Coffee and Cigarettes, qui donnera, après plusieurs moutures, un film à sketch en 2003. Le public américain découvre ainsi l'acteur et l'auteur (il a co-écrit le court métrage). Touriste italien emprisonné à La Nouvelle Orléans. La rencontre avec Jarmusch va être déterminante tant le cinéaste new yorkais va lui faire comprendre la valeur de l'indépendance financière et artistique dans ce métier.Il piccolo diavolo (Le petit diable) continue d'en faire le comique public numéro un en Italie. Adoré de ses pairs en France comme aux Etats-Unis, il reste un OVNI cinématographique, qui va trouver sa planète grâce à Fellini. Benigni n'est à l'aise que dans l'onirisme, la poésie visuelle, le délire verbal. Il maestro va engager il mostro. La voce della luna (La voix de la lune) n'est sans doute pas le meilleur des Fellini, mais l'essentiel était sans doute que leurs deux univers se croisent et qu'à l'intersection la magie passe le relais, d'une génération à l'autre. Sûr, Benigni n'est pas Fellini. Mais le burlesque de l'un et les rêves de l'autre refont vivre Pierrot la lune et nous font regarder le ciel nocturne avec émerveillement. Le petit diable ne fait que prolonger, ou essayer, ces contes charmants. L'ascension continue : avec son personnage de chauffeur de taxi bavard - confessant ses exploits sexuels à un client par ailleurs prêtre - dans Night on Earth (Jarmusch "again"); son troisième film, Johnny Stecchino, le plus gros succès du Box office Italien (mettant K.O. Le dernier tango à Paris); et Le fils de la panthère Rose, essai de suite raté. Benigni, aussi grandiose soit-il, n'a rien à voir avec Peter Sellers. Blake Edwards signe lui-même l'arrêt de mort de la saga de l'Inspecteur Clouseau.Si le film est un bide - l'enthousiasme du comédien ne suffisait pas à compenser le faible scénario - il prouvait surtout l'illégitimité de ce fils de Clouseau. Benigni n'a rien à voir avec l'humour anglo-saxon. Il n'est bon qu'utilisé à bon escient. Ce que Jarmusch sait très bien faire. Redoutable et irrépressible, son comique est contagieux, à la manière d'un Tati ou d'un De Funès. N'ayant besoin que de ses grimaces et ses gestes. Son visage semble élastique, caméléon, lunaire et enfantin. Il veut faire rire, ça le rend heureux, orgueilleux, vivant.
Après son double personnage de chauffeur de bus innocent et de mafieux célèbre dans Johnny Stecchino, il récidive avec Il mostro (Le monstre), son premier succès d'estime en dehors de ses frontières. Désormais marié à Nicoletta, producteur (la société Melampo), l'acteur le plus populaire du pays continue de bousculer les protocoles (soutenant ouvertement la coalition gauchiste de l'Olivier) et le box office puisque son Mostro déloge Johnny... de sa position de film italien le plus populaire du siècle. Là encore Benigni joue sur une dualité : un homme de la base, un de ces exclus qu'il aime tant, suspecté d'être un serial killer. Fantasme et fantasque. Benigni rêve tout haut et en couleurs. Des millions d'Italiens partagent ce jeu de miroir. Ce succès lui permet de faire sa première pause en 25 ans. Et de préparer son triomphe.
Tout juste sorti en Italie, son sixième long métrage, au titre rappelant un film de Capra, est présenté en Compétition Officielle au Festival de Cannes. Une comédie sur la Croisette? Sacrilège! Pire : on se moque de la Shoah! La vita è bella (La vie est belle) est un sommet dans la carrière de ce cocasse de clown. Rires énormes, larmes abondantes. S'y glisse le thème préféré de l'auteur : l'art de mentir, de tromper, de jouer, de rêver n'est-il pas nécessaire pour affronter les horreurs de la vie? Car Benigni n'aime qu'une chose : montrer le diable et conjurer les mauvais sorts. Comment rire d'une vie qui n'a rien de drôle. Le tigre e la neve (Le tigre et la neige), avec une nuance plus amère, poursuit cette interrogation à travers la Guerre en Irak et l'importance des poètes. On peut se suicider face à la folie des hommes ("C'est le dernier geste d'un esprit qui ne sait plus quoi produire. Beaucoup d'intellectuels, philosophes et poètes se sont donné la mort, ne supportant pas ces incommensurables violences et vulgarités" explique Benigni), on peut aussi aimer : "Quand on aime, c'est comme si on naissait pour la première fois. L'amour donne la force de surmonter cette crainte de la mort."
La vita è bella récolte tous les lauriers possibles : 7 nominations aux Oscars (un record pour un film étranger) et en récolte trois, dont celui, prestigieux s'il en est, de meilleur acteur, égalant ainsi l'immense Laurence Olivier en devenant le second comédien à recevoir l'Oscar en s'étant dirigé lui-même. Lorsque le président italien, Oscar Scalfaro, le félicite et lui sert la main, le Polichinelle des temps modernes déclare : "Maintenant j'ai un oscar dans ma main". Grandiose succès public aussi. En France plus de 4 300 000 spectateurs versent leur larme. Cela faisait depuis 1979 qu'un film italien ne s'était pas classé dans les dix films les plus populaires de l'année; c'était la grande époque des Terrence Hill / Bud Spencer. Le film séduit aussi près de 6 millions d'Italiens, 2 millions d'Allemands, 4 millions d'Espagnols, et rapporte 60 millions de $ aux USA, malgré les sous-titres, défrichant un marché réputé protectionniste pour les futurs Tigre et Dragon, Amélie Poulain, etc...
Et à ceux qui l'accusent d'exploiter l'holocauste il rétorque que son père a été prisonnier durant deux ans dans le camp de concentration de Bergen Belsen. A partir de ses histoires, le fils a écrit l'un des films les plus vus au monde, jusqu'au Xinjiang (Chine) où une version Ouïghour existe. Il revient en Detritus dans le premier Astérix, celui qui sème La Zizanie. Fourbe il serait un parfait Scapin. On le reverra en Pinocchio. Errare Benigni Est. Persevere diabolicum. Ce n'est pas du Goscinny. Juste la folie des grandeurs. Benigni en Pinocchio, ce n'est plus crédible vu l'âge du clown. 50 ans. Difficile de passer pour un gamin. Réalisé trop tard sans doute. Le pantin valse dans des décors très fastes. A 40 millions d'euros, hors marketing, le film est le plus cher jamais produit en son pays. Plus dure sera la chute. Après les records positifs de sa vie est belle, il aligne les mêmes en négatif avec son histoire de grosse baleine et de fées. Comme un écho aux Oscars. Premier acteur à gagner le Razzie du Pire acteur pour un rôle non anglophone (d'une longueur de nez sur Steven Seagal). Rejoignant Stallone, Prince, Shatner, Green et Costner dans la catégorie des pires acteurs dirigés par eux-même (ça change d'Olivier). Humble défaite qui se traduira pas un four monstrueux auprès du public. Seuls les Italiens et les Japonais semblent l'adorer.
Le tigre et la neige - "c'est le plus beau de mes films!" - est mieux accueilli par la critique, mais le public semble plus frileux. Il reste incontournable en Italie. L'artiste demeure une figure marquante du cinéma européen, et indépendant. Car il est surtout un artisan au service de son propre talent et de ses désirs. "Les films idéologiques entrent par l'esprit et quand un film entre par là, il en sort le jour suivant. Mes films entrent par le coeur et le coeur est le noyau le plus profond de l'esprit." Mais il est lucide : "La normalité c'est que mes films soient aimés en Italie et, quelquefois, à l'étranger. Autrement tu deviens fou..."
Benigni assume sa culture, ses racines, sa singularité, son identité. il a conscience qu'il est un "piccolo miracolo" pour son pays.
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