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MELODRAMA QUEEN
Baz Luhrmann : ou le cinéaste australien le plus connu de ses vingt dernières années, au point d’en devenir un ambassadeur dans le monde. Avec des succès populaires, et même cultes, films qui ont par ailleurs été primés, il a la cinquantaine bien tassée malgré ses allures d’ « adulescent » et seulement cinq films à son actif.
Malgré cette œuvre si peu fournie, il a marqué les esprits en voulant se distinguer de ses pairs mais aussi d’un cinéma traditionnel qu’il pille sans vergogne grâce à un style singulier. Ainsi de classiques littéraires (Shakespeare, Fitzgerald) en genres populaires des années 50 (le western, la comédie musicale), Luhrmann s’amuse à les revisiter (et même les « révisionner ») à sa façon.
Pour cela, il s’est inventé son propre dogme, baptisé The Red Curtain (le rideau rouge) : une histoire simple dont on connaît l’issue, un monde visuel recréé (et irréel), et l’utilisation anachronique de musiques variées … cela donne des chorégraphies endiablées (sa mère était danseuse, lui-même a longtemps dansé), des villes comme Paris ou New York complètement repensées, comme des maquettes cartonnées, des paysages en cinémascope et technicolor à l'ancienne, des couleurs chatoyantes. Le cinéma de Luhrmann est flamboyant, baroque. Sa splendeur séduit, ses extravagances visuelles épatent. Tout cet artifice au service de quoi?
Baz Lhurmann apparaît ainsi davantage comme un DJ que comme un auteur au sens propre. Il sert d’un matériau déjà connu, voire rabâché, pour en faire un divertissement dont on reconnaît immédiatement la signature. Même Australia, œuvre à part dans la carrière du cinéaste (et succès phénoménal dans son pays), sans danse, avec un happy end, filmé en décors « naturels », est un film « luhrmannien » par ses teintes et son sujet.
En inventant son dogme, il réinvente les genres. Il façonne tout en fonction de son imagination (foisonnante), se crée des univers (esthétiques à l’extrême, ce qui ôte souvent l’aspect émotionnel). Shakespeare devient une tragédie musicale, le Paris de la belle époque se métamorphose en Bohème pop, le Western migre en Australie, le New York des années folles se mue en mélo mégalo. Il avoue être influencé par des films épiques aussi divers que Fitzcarraldo, Huit et demi, Guerre et paix, mais aussi Bollywood (l’alliance entre le chanté et le filmé, le burlesque et la romance), et l’opéra (il en a mis en scène plusieurs).
Cela peut paraître artificiel, factice et même kitsch. Ou même ostentatoire comme cette publicité pour le Chanel n°5, la plus coûtuse de l’histoire, avec Kidman et Santoro. Mais les spectateurs (filles et gays en tête) semblent hypnotisés, comme s’ils avaient bu trop d’absinthe.
Pourtant l’intérêt du cinéma de Luhrmann, loin de ces batailles entre partisans et méprisants, est ailleurs. De ces tragédies, où s’alternent DiCaprio et Kidman selon les films (ils est très fidèle à ses comédiens et aime faire émerger de nouvelles têtes venues d’Australie), naît une vision du monde désenchantée, derrière toutes ces illusions numérisées.
Le monde (que ce soit celui des artistes ou celui des élites et peu importe l’époque ou le continent) est fracturé par une lutte des classes ancrée dans les préjugés liés à l’éducation ou l’origine sociale. Les destins, là encore peu importe qu’on soit pauvre ou riche, français ou australien, anglais ou américain, sont toujours identiques, humains : la mort l’emporte sur l’amour. Luhrmann met des années avant d’aboutir ses projets (quand ils n’avortent pas comme Alexandre le Grand), par perfectionnisme certes mais aussi parce qu’ils nécessitent une préparation miniuieuse pour transposer ce qu’il a dans la tête. Il est ainsi à l’image de ses personnages qui ne connaissent que deux énergies vitales : le rêve et l’amour (passionnel et absolu). Il a besoin de ses rêves et d’être amoureux de son projet pour se propulser de nouveau sur un plateau de cinéma.
Mais contrairement à ses héros, lui, bardé de récompenses, voit ses rêves de réaliser, et plaire à un grand nombre de spectateurs dans le monde. L’espoir de faire un autre film semble toujours entretenu. Dans ses films, en revanche, le rêve et lamour idéal se fracassent fatalement sur un mur à cause des égoïsmes des uns, des jugements des autres, de cette réalité souvent cruelle et violente (maladie, accident, catastrophe naturelle, complot…). L’individualisme tue. Et lui, comme Demy, cherche malgré tout à voir le verre à moitié plein même quand la potion (empoisonnée) est déjà vide.
vincy
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