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David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Coeurs transis ou coeurs brisés, en un clic fixez sa cote.
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PAYNE À JOUIR
En 6 films, étalés sur moins de 20 ans, Alexander Payne a imposé un style, une empreinte dans le cinéma américain. Sous son allure de cinéma indépendant, cette œuvre a toujours été portée sur des sujets universels et grand public. Avec des scénarios écrits comme on brode de la dentelle, des personnages ordinaires mais charismatiques, un mélange de mélancolie et de dérision, de déprime et de légèreté, Payne est devenu l’un des auteurs les plus respectés, deux fois oscarisé (à chaque fois pour le scénario évidemment) et sélectionné dans des festivals comme Cannes, en compétition.
Cinéaste cinéphile et diplômé en histoire, littérature et cinéma), s’amuse pourtant à ne jamais se répéter formellement d’un film à l’autre. Pourtant, sa filmographie est traversé par trois piliers fondamentaux : la solitude des êtres, l’errance et la réconciliation. De là, il invente des personnages burlesques ou tragiques, des bobos paumés ou des prolos perdus. La satire n’est jamais loin. La chronique sociale toujours en arrière plan : il filme l’Amérique sous différentes facettes, qu’elle soit en désintégration ou cupide, individualiste ou en quête d’un monde meilleur. Tout part souvent d’un accident de la vie. Les vies se dérèglent, les hommes sont déboussolés, tout part en vrille, pour le pire puis pour le meilleur.
Avec Citizen Ruth, son premier long métrage, il s’attaque au périlleux tabou de l’avortement avec une femme irresponsable, un peu camée et enceinte. Il s’en prend ensuite, avec L’arriviste, au sacro-saint culte de la réussite et aux winners à tout prix. Avec son Monsieur Schmidt, il nous embarque dans un voyage avec un vieil homme aigri et replié sur lui-même qui va plus facilement communiquer avec un enfant africain qu’il parraine qu’avec sa fille sur le point de se marier. Dans Sideways, ce sont deux quadras désenchantés et sans illusions, pour ne pas dire blasés par la vie, brisés dans leur élan qui, à coup de verres de vin, vont refaire le monde avant de pouvoir refaire leur vie. Pour The Descendants, c’est un père de famille qui est confronté à plusieurs choix alors que le passé se décompose sous ses yeux et qu’il faut plonger dans un avenir incertain. Et ce n’est pas mieux avec son dernier film, Nebraska, où un fils et son vieux père s’embarquent dans un voyage, dans les grands espaces et dans le temps (retrouvé). Nebraska, Colorado, Californie, Hawaï… Payne traverse son pays. En couleur ou en noir et blanc, avec des personnages cyniques ou lâches, romantiques ou incapables d’exprimer leurs sentiments. Toujours un peu cocasses pour désamorcer la pesanteur dramatique. Outre son talent à écrire des scènes sur le fil, à mettre en scène des séquences très variées (du pur gag au champ-contre-champ dialogué), il est aussi un remarquable directeur d’acteur : Laura Dern, Matthew Broderick, Reese Witherspoon, Jack Nicholson, Kathy Bates, Paul Giamatti, Thomas Haden Church, George Clooney, Bruce Dern… Il faut un certain flair pour aller chercher les bon s acteurs, vieux ou jeunes, pour des rôles qui collent toujours parfaitement aux personnages. Cela explique aussi pourquoi il enrôle des vrais flics pour jouer des policiers ou des vrais enseignants pour jouer des professeurs.
Car l’alchimie est essentielle dans son cinéma : famille, amants, amis, tout est affaire de relations humaines. La solitude de ses héros ne dure jamais très longtemps. Il s’agit surtout de les faire passer d’une misanthropie naturelle à un humanisme essentiel. Amers ou amoureux, les mâles de Payne sont toujours des hommes cassés : ils furent glorieux, heureux, dominants. Mais la vie en a décidé autrement.
Littéraire et social, son cinéma n’aime rien tant que de vanter la vertu de la pédagogie et du débat. D’où l’importance des dialogues. On est loin de Jurassic Park III qu’il a scénarisé. Lui a besoin d’ancrer son cinéma dans un contexte réaliste : la crise sociale ou économique, la retraite, le divorce, les destinations touristiques (filmées comme des usines à fabriquer des clichés).
Tous ces éléments expliquent comment ce réalisateur, l’un des rares à avoir le « final cut » a signé jusque là une œuvre profondément sentimentale, souvent touchante, jamais larmoyante. Mieux vaut rire de nos malheurs semble-t-il nous dire. En six « feel good movies », il creuse un sillon souvent négligé, entre Capra et Nichols, pour faire simple, où le cinéma parle de la classe moyenne sans la déshonorer ou la rendre pitoyable.
Il rend ses lettres de noblesse à un cinéma américain qui, autrefois, s’intéressait aux spectateurs. Un jeu de miroir où le grand écran reflète nos doutes, nos angoisses, nos peurs, mais aussi nos joies, nos envies, nos bonheurs.
Tous ses films commencent avec la solitude et l’incompréhension d’un monde qui s’écroule. Tous conduisent les personnages à « voyager ». Tous s’achèvent sur le soulagement et une forme de renaissance apaisante.
De là Alexander Payne cherche finalement un moyen de nous dire que le malheur n’est pas une fatalité, ni la souffrance. Qu’au bout de la route, à travers des paysages somptueux ou des villes en désolation, chacun à son rythme, il y a une oasis où l’on peut se poser calmement, boire une bière, profiter d’un jacuzzi, ou manger une glace avec ceux qu’on aime. Bref jouir de la vie. Loin de toute ironie, sans béatitude extrême. Payne ne manipule pas nos émotions. Après le chaos, ses films s’achèvent dans le calme. C’est sans doute cette sérénité que certains lui reprochent. Cela ne signifie pourtant pas qu’il est sans passion. Mais Payne aime équilibrer ses histoires avec la raison.
vincy
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