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David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Coeurs transis ou coeurs brisés, en un clic fixez sa cote.
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MILLENIUM GIRL
C’est un peu comme s’il y avait deux Shu Qi : une actrice charmante et sexy, star adulée dans son pays, jouant les utilités dans des films au kilomètre, et une comédienne formidable, magnifiée par la caméra de Hou Hsiao-Hsien dans des œuvres complexes et raffinées, unanimement acclamée par la critique internationale. Comment expliquer cette quasi schizophrénie de l’une des plus mystérieuses (et séduisantes) comédiennes asiatiques actuelles ?
Tout commence dans les années 90 à Hong Kong. La jeune Shu Qi, dont l’adolescence est pour le moins mouvementée,replica bags vient de quitter Taipei et le domicile parental pour voler de ses propres ailes. Très vite, elle gagne sa vie en posant pour des photos et devient mannequin de charme. Sa plastique irréprochable, son visage d’une pureté vertigineuse et son sourire enfantin la font rapidement remarquer par le producteur Manfred Wong qui l’engage en 1996 pour Sex & Zen II, un film érotique soft. La même année, elle joue dans une parodie de film rose, Viva erotica de Derek Yee, qui lui vaut le Prix du Meilleur espoir féminin et celui de Meilleur second rôle féminin aux Hong Kong Film Awards de 1997. Même si son passé sulfureux lui fait de l’ombre (surtout dans un continent asiatique encore très puritain), c’est malgré tout un tremplin vers un cinéma plus "conventionnel".
Comme c’est l’habitude à Hong Kong, la jeune fille enchaîne alors les tournages (jusqu'à dix films par an) et gagne peu à peu ses galons d’actrice. Elle alterne les films d’action avec des productions romantiques ou dramatiques qui mettent en valeur sa large palette de jeu. Elle apparaît ainsi dans City of Glass de Mabel Cheung (pour lequel elle reçoit le Prix de la Meilleure Actrice au Hong Kong Film Awards), Your Place or Mine (qui lui vaut le Prix du meilleur second rôle au Golden Horse Film Festival), Jackie Chan à Hong Kong de Jackie Chan qui la hisse au sommet du bock-office ou encore The Island Tales de Stanley Kwan qui est sélectionné au Festival de Berlin.
Shu Qi commet alors une erreur d’appréciation qui aurait pu lui être fatale : choisie par Ang Lee pour interpréter l’un des rôles principaux de Tigre et dragon, qui sera un énorme succès international, avec notamment quatre Oscars à la clef, elle refuse (sur les conseils mal avisés de son agent) et laisse la place à Zhang Ziyi, qui devient immédiatement la coqueluche du public occidental.
Heureusement, une bonne fée veille malgré tout sur le destin de la jeune actrice taïwanaise. Après un petit passage à vide, sa route croise celle de Hou Hsiao-Hsien, grand maître du cinéma taïwanais, qui lui confie le rôle principal de Millenium mambo, œuvre envoûtante et sublime, où elle est Vicky, une jeune femme du début des années 2000 qui vit à 100 à l’heure pour échapper au grand vide qui l’entoure. Qu’elle danse, allume une cigarette ou simplement marche dans un tunnel, le spectateur ne peut la quitter des yeux. Elle incarne la jeunesse désenchantée qui s’apprête à hanter le cinéma de toute la décennie, et elle le fait avec une telle justesse qu’on la soupçonne d’"être" plutôt que de "jouer".
Qu’importe. Shu Qi a trouvé son mentor. Dès lors, elle mène de front deux carrières parallèles : d’un côté, elle multiplie les rôles plus ou moins intéressants dans des superproductions asiatiques (So Close de Corey Yuen, The eye 2 de Dany et Oxide Pang, Gone with the Bullets de Jiang Wen) et internationales (Le transporteur de Louis Leterrier, New York, I Love You, segment de Fatih Akin). De l’autre, elle poursuit son immersion dans l’univers élégant et feutré d’Hou Hsiao-Hsien.
En 2005, il lui offre le triple rôle de Three times, poème cinématographique sur l’évolution des rapports humains, où elle compose trois personnages distincts, denses et sensibles chacun à sa manière. On reconnaît à peine la jeune fille rebelle qui semblait jouer son propre rôle dans Millenium mambo. Une totale métamorphose, qu’Hou Hsiao-Hsien expliquait ainsi à l’époque lors d’une interview avec le magazine Orient-Extrême : "Ce qui s’est passé avec Shu Qi, c’est que Millenium Mambo a été pour elle un tournant, depuis elle a complètement changé sa façon de jouer. Elle s’est débarrassée de toute pression liée au fait d’« interpréter ». Par ailleurs, il y a tout un travail de préparation pour les rôles - apprendre à chanter en anglais pour la troisième partie par exemple – qu’elle n’avait pas eu à faire sur Millenium Mambo, où j’ai tenu à la filmer en l’altérant le moins possible."
Elle repartira une nouvelle fois bredouille de Cannes (le cinéma exigeant et complexe d’Hou Hsiao-Hsien y rencontre rarement les faveurs des jurys), mais aux yeux de tous, elle est désormais officiellement une grande actrice. Pourtant, même si elle est honorée de toutes parts (on l’a notamment vue au jury de la Berlinale en 2008 et dans celui de Cannes en 2009), elle attend un peu désespérément qu’un autre cinéaste voit en elle ce que Hou Hsiao-Hsien y avait découvert et lui offre un rôle à la mesure de son talent. Peine perdue : elle continue de jouer les jolies filles dans des films sans grand intérêt.
Il faut alors attendre sept ans pour que Shu Qi et Hou Hsiao-Hsien se retrouvent sur un plateau de tournage pour le segment "La belle époque" du film collectif taïwanais 10+10 . Dans ce court métrage joliment axé sur la transmission familiale, on sent entre l’actrice et son metteur en scène une complicité et une confiance qui se suffisent à elles-mêmes. Indubitablement, ces deux-là forment un véritable duo de cinéma, capable de créer à l’écran une alchimie presque magique. D'où l’attente (démesurée) suscitée par leurs retrouvailles, presque quinze ans après leur première rencontre, pour The assassin, film d’arts martiaux qu’on imagine d’ores et déjà atypique. Dans cette production qui lui tenait à cœur depuis longtemps, le cinéaste offre à son égérie le premier rôle, celui d’une femme assassin au temps de la dynastie Tang. Une promesse si écrasante qu’on est partagé entre l’impatience sans borne de vivre un moment unique de cinéma et la peur d’être finalement déçu par cette nouvelle collaboration.
Pour Shu Qi, c’est probablement l’ultime examen de passage. Car, à presque quarante ans, l’actrice semble arrivée à un tournant de sa carrière. Reconnue par tous et au faîte de sa gloire, tous les possibles lui sont permis. Qu’elle choisisse de poursuivre au rythme où elle l’a toujours fait, en multipliant les rôles et les apparitions de toutes sortes, ou qu’elle décide au contraire de se concentrer sur un cinéma plus exigeant, voire plus international (elle a au fond peu cédé aux sirènes hollywoodiennes et européennes), son plus grand défi sera désormais de ne pas avoir de regret. Quitte, pour cela, à provoquer le sort, les rencontres et les rôles, et surtout à nous surprendre. Avec ou sans Hou Hsiao-Hsien.
MpM
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