David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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KIBERLAIN ET AUTRES HISTOIRES





«Quel est votre bien le plus précieux?» lui demandait-on un jour. «Ma famille», répondit du tac au tac la jeune actrice d'origine juive polonaise, sans crainte de paraître vieux jeu. «Je suis naturellement attirée par la fidélité, la stabilité, la douceur, dit-elle. J'aime me protéger de l'extérieur. Du cru de la vie. Je suis un peu peureuse. J'ai longtemps vécu dans une bulle, une famille soudée. Je ne me posais pas de questions...» A l'écran, elle largue les amarres. Et c'est souvent spectaculaire («Il y a de la noyade dans l'air», dit-elle). Pute de luxe pour son premier rôle à nu dans Les Patriotes, jeune ouvrière à la dérive d'En avoir ou pas, fille «à vendre» dans le Lætitia Masson suivant puis fan absolue dans Love me,... elle affronte ses peurs - la solitude, la nuit, le chaos, l'abandon - avec une humanité bouleversante.
La «jeune fille des salons de thé» s'aventure ainsi, de film en film, «du confort vers l'inconfort». Et retour. Si elle se laisse filmer dans le dénuement le plus total, c'est qu'elle s'arrange bien de «la tricherie» du cinéma. «Dès qu'une scène est finie, je quitte le rôle, j'enlève la jupe de vinyle, le mascara, les yeux noirs. Certains aiment traîner sur le tournage, vivre dans la peau d'un personnage. Moi, je retourne vite à l'hôtel ou chez moi. Je retrouve mon téléphone, je récupère mes bases. Je reprends mon rythme. C'est comme un sauvetage.»

Les réalisateurs unanimes disent de Sandrine Kiberlain qu'elle est «une virtuose», capable d'exister avec une intensité rare entre «Moteur!» et «Coupez!». Sur la brise d'un «césar du meilleur espoir» en 1996, elle s'impose d'année en année comme l'une desactrices les plus populaires de sa génération. Et c'est justement pour ça, parce qu'elle ne veut être que ça: «une actrice» («je n'ai jamais eu d'autre désir»). «Je n'avais pas d'idole, confiait-elle à ses débuts. Pas d'exemple à suivre. Mais j'aimais les acteurs.» «Dans l'existence, elle se préserve, dit Lætitia Masson. Elle ne fume pas, boit du thé. Pas d'excès. Le moment d'explosion vient dans ses rôles. C'est beau et ça reste mystérieux.»
Au point que Vincent Lindon, son acteur de mari, affirmait: «Elle ne vit pas dans la vie. Elle ne vit qu'à travers ses rôles et ses personnages.» Elle n'est toujours pas très sûre de ce qu'il a voulu dire, mais il lui semble qu'elle a senti assez tôt qu'il se passait quelque chose. A la sortie de l'adolescence, aux abords du cours Florent, elle n'était encore que le clown de la famille, qui inventait des personnages pour attirer l'attention («le vétérinaire, ça a duré longtemps, cette histoire...»). Passive, engourdie, elle «regardait le monde sans le voir» et se trouvait aussi peu à l'aise au quotidien que dans ses rôles. Timorée, fantasque, recroquevillée sur elle-même. La rencontre avec Daniel Mesguich est décisive: «J'ai senti qu'en prenant des risques, en m'éloignant le plus de ce que j'étais, je trouverais mon plaisir.» Elle décide de suivre le Conservatoire sans trop apprendre, sans suivre les règles. Lors du concours d'entrée, elle prend au culot l'institution à contre-pied et présente une scène de cinéma tirée d'Annie Hall. «Pour Diane Keaton.» Et ces femmes, comme un pôle magnétique dans son approche du métier: Gena Rowlands, Ingrid Bergman, Fanny Ardant, Barbara, Romy Schneider... qui «n'y vont pas avec le dos de la cuillère, jouent avec leur vie, pleurent des larmes qui viennent de loin, ne se permettent pas de passer à côté»...

Elle prenait mal la mesure d'un physique atypique, se sentait empruntée, maladroite, «trop grande, trop de hanches», écoutait poliment les gens du métier qui lui conseillaient, pour y arriver, de «se faire refaire le nez». «Ça m'a blessée et j'ai décidé que ça serait ma force.» Son corps, elle l'engage tout entier dès les premiers tours de manivelle. Une giraffe en mouvement railelront les méchantes langues. Effrayée mais «sans réfléchir». «Tu as toujours pensé qu'on t'attendait», lui disait Vincent Lindon,. «Je me sens une grande confiance. J'aurais du mal à l'expliquer...» confirme-t-elle. Pascale Bailly, réalisatrice de Comment font les gens, parle d'elle comme d'«une apparition» sur un écran vidéo au sous-sol du Conservatoire. Sophie Fillières, qui lui donne son premier rôle, reconnaît «LA jeune fille». Son nom circule. Son ascension irrésistible passe vite les frontières d'une jeune génération de cinéastes. «C'est comme s'il y avait en elle quelque chose qui demande à être toutes les femmes», dit Lætitia Masson.

«Je fonce», dit l'actrice qui s'habille encore en jeune fille, jean, baskets et manteau flottant. Il arrive toutefois que la force qu'elle investit d'instinct dans ce métier menace l'équilibre auquel elle est attachée. Avant le tournage d'A vendre, elle a vécu ainsi une expérience qui l'a «pas mal remuée». Son père, entre le métier d'expert-comptable et l'occupation de cafetier, s'imaginait une vie au théâtre.
Sous couvert d'anonymat, il a envoyé, par la poste, une pièce à sa fille. Le Roman de Lulu, histoire d'un quinquagénaire fou d'une jeune fille de 25 ans et qui ne veut pas vieillir à ses yeux. «Au bout de deux pages, je me suis dit: qu'est-ce que c'est que ça? J'étais bouleversée de lire une chose pareille. Et, en même temps, choquée par l'audace et l'impudeur. Il mettait à nu des choses fortes, me faisait prononcer des mots dont il sait bien que je ne sais pas les dire.» N'empêche. Elle n'est pas une nature qui «se surveille». Elle y va. Remue ciel et terre pour imposer la pièce, s'engage dans le rôle et le joue tous les soirs pendant plusieurs mois. Jusqu'au vertige. «J'ai pris mon inconscience en pleine gueule, ma manière d'avancer à l'instinct, de réagir à retardement. Tout d'un coup, j'ai eu peur de me tromper sur tout, de ne plus y arriver...»

Son trouble, Sandrine Kiberlain, qui ne reviendra jamais «sur l'union sacrée de la famille», l'a investi aussi sec dans le Septième Ciel, de Benoît Jacquot, où elle donnait une chair exsangue aux absences de la dépression et s'évanouissait presque pour les besoins de la caméra.
«J'ai récupéré la gaieté dès que je me suis retrouvée sur le tournage. Pour moi, le cinéma est tout sauf un drame.» Ses proches soulignent sa légèreté («Tu pars jouer comme si tu allais acheter des cadeaux...»), elle lui donne quand même un tour vaguement mystique.
«J'aime ce métier parce que j'ai l'impression de me démultiplier, de pouvoir prolonger l'intensité de l'existence. J'ai une conscience trop aiguë de la mort.» Ses grands-parents ont fui la Pologne et sont arrivés en France avant la guerre. «Ils ont construit leur vie sur la pire des injustices et je ne les ai jamais entendus se plaindre.»Elle dit en avoir tiré une ligne de conduite qui la fait avancer au cinéma. «Ne jamais être mièvre avec la vie.».
Depuis Jacquot et Masson ont trouvé d'autres égéries (Le Besco, Adjani, Zylberstein...). Et Kiberlain a taté le terrain de la comédie : celles de Jeanne Labrune, fantaisies verbales qui la rendent sympathiques. Elle aime les comédies à mots et à maux. Une petit jeu sans conséquence n'a pas d'impact. Mais chez Jolivet ou Salvadori, elle fait de plus belles étincelles. C'est pourtant chez Miller, loin de ses personnages de femmes légères ou romantiques, ni bonne samaritaine ni amante éconduite, loin des marivaudages et autres films à scénario, qu'elle déploiera le mieux ses ailes.
Dans Betty Fisher et autres histoires en mère paumée, fille perdue, et au bord de la folie, elle excelle. Sans doute son plus beau rôle. Parce qu'elle y raconte d'autres histoires que la sienne.

chris, vincy


 
 
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