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AVRIL 2002
Molière se laisse envahir par le 7ème Art
16ème Cérémonie des Molières
1er avril 2002.
Vincy
Les Molières, cérémonie encore plus soporiphique que les Victoires et les César, deviennent une sorte d'annexe au 7ème Art. Il y a toujours eu des acteurs de l'écran qui se délectaient sur les planches. Mais la 16ème édition montre à quel point les paserelles entre les deux arts sont de plus en plus naturelles. Et il en sera de même bientôt entre la télévision et le cinéma.
Annie Girardot, triple césarisée (dont le second rôle féminin cette année), sera d'avance la reine du cumul avec un Molière d'honneur, en plus de sa nomination à titre de meilleure comédienne. Autre césarisée 2002, Rachida Brakni (meilleur espoir féminin dans Chaos) se voit favorite parmi les révélations théâtrales féminines pour son interprétation à la Comédie Française dans Ruy Blas. Jean-Paul Roussillon (nommé au César du meilleur second rôle masculin) se voit cité parmi les meilleurs comédiens de théâtre de l'année. Quant à André Dussollier - dans son one-man show poétique - déjà César du meilleur second rôle masculin (et nommé au César du meilleur acteur), il se voit lui aussi cité parmi les meilleurs comédiens. Les César, simple répétition des Molières?
Pas seulement. De nombreuses comédiennes et comédiens se retrouvent nommés aux Molières alors qu'ils sont souvent ignorés des César. Clémentine Célarié, Annie Grégorio, Wojtek Pszoniak, Philippe Clay, ou encore la fille de Marlène Jobert, Eva Green se voient finalement mieux reconnues pour leur présence scénique. L'exception serait bien entendu Muriel Robin, qui a débuté et triomphée en solo sur les planches, a connu le succès au cinéma (Les Visiteurs II, Marie-Line qui lui a valu une nomination de meilleure actrice aux César), et se voit citée meilleure comédienne dans une pièce moderne (La Griffe A71).
Mais la véritable nouveauté, et interrogation, de cette année, c'est bien le poids du cinéma dans la création théâtrale. Une pièce de répertoire, Bent, a été reprise cette année. Ce classique sur la Shoah et les étoiles roses avait donné un film, en sélection à Cannes, en 97. Mais le plus original est l'adaptation de deux films - radicalement différents - en pièce "originale". L'immense succès de Michel Leeb dans le rôle de Robin Williams, alias Madame Doubtfire, fera de cette "création" un classique du boulevard, à coup sûr. Il s'agit de l'une des pièces comiques retenues cette année. Cette comédie hollywoodienne des années 90 s'est transformé en foire à rire, ciblant ainsi un public populaire. Le même théâtre a proposé cette année, dans une plus petite salle, les Monologues du Vagins et : une pièce féministe et une autre à orientation gay.
La pièce qui a reçu le plus de nominations - 9 - n'est autre que La petite boutique au coin de la rue. Un film de Ernst Lubitsch (une des meilleures comédies du maître), remaké par Tom Hanks et Meg Ryan dans You've Got a mail, s'est transformé en succès surprise dans un théatre de Montparnasse. Le cinéma, source d'inspiration? Chaque art se nourrit de l'autre. Et parfois avec génie.
La soirée en elle-même, et le palmarès, n'offrent que peu d'intérêt. C'est hélas une courte fenêtre dans l'année pour que le théâtre arrive dans tous les foyers. La télévision a fortement réduit sa programmation de spectacles. Surtout, on regrettera que cette nuit des Molière ne fasse pas plus de place à la danse, aux improvicateurs et aux spectacles de la rue. Les Spectacles Vivants semblent malgré tout enfermés dans un musée où seul le verbe a le dernier mot.
P.S. Annie Girardot, Rachida Brakni, Jean-Paul Roussillon et La petite Boutique au coin de la rue ont été primés.
Images de danse...
"Le Crime du Père A..."
Le 3 avril 2002 à 20h00 au Centre Culturel Calouste Gulbenkian
51, avenue d'Iéna - 75016 Paris.
Informations : infolmcie@yahoo.fr
Alors que la chorégraphe Lidia Martinez va présenter au Centre Culturel
Calouste Gulbenkian, à Paris, sa dernière création "Le Crime du Père A...",
elle prépare une résidence créative au C.E.N.T.A. (Portugal) et une série de
trois court-métrages de danse.
Depuis vingt ans, Lidia Martinez développe un travail scénique, plastique et
littéraire singulier en mêlant les arts dans ses créations. Dans la série
"Inez", elle intégrait une correspondance poétique fictive entre la Reine
Morte et l'Infant. Mais ses créations et ses pièces vont au-delà d'une
simple recherche formelle. Il s'agit, avant tout, d'un travail sur l'image
et le rapport entre la scène et le public : une expérience du sensible.
"Le Crime du Père A..." est une pièce chorégraphique pour cinq interprètes
basée sur les oeuvres du peintre Paula Rego et sur le roman d'Eça de
Queiros. Elle extrait de ces intimités suggérées sur la toile des mouvements
qui servent de support à sa scénographie. Des postures qui s'animent dans un
univers dont la trame est la dramaturgie d'Eça de Queiros. On la retrouve
avec ses jeunes et brillants interprètes - que l'on avait déjà vus dans ses
pièces "Le Fado de Minuit" (2000) et "Today it's my Birthday-Day" (2001).
L'intimité sera également la thématique de sa résidence au C.E.N.T.A., l'un
des plus importants centres artistiques du Portugal. "La Catharsis de
l'Amour" est une recherche sur le corps, la féminité, et les traces. Une
nouvelle approche avec l'image aussi qu'elle poursuivra dans le cadre de la
réalisation et de la mise en scène de trois court-métrages de danse destinés
au web.
Robert Wilson fait son cinéma.
Le 26 mars dernier, au Deutsches Theater de Berlin, Robert Wilson présentait sa dernière création : "Doktor Caligari". Le metteur en scène américain retranscrit sur scène, avec sa grammaire, le film muet "Le Cabinet du Dr Caligari" de Robert Wiene. Toutefois, la création de "Doktor Caligari" semble avoir été difficile à achever : retards divers et annulation de la première le 22 mars dernier.
Quatres scènes ont été coupées et la musique complètement réécrite. Pour cette première et dernière - pour l'instant - de "Dr C.", on a assisté quand même à un éblouissement dont Robert Wilson a le secret.
Le spectacle est un festival d'effets wilsoniens sur une partition originale de Michael Galasso : décors gigantesques en perpétuel changement, jeux de lumières uniques, une attention sur les détails remarquable,... Wilson s'inspire également de l'univers du cinéma muet avec des personnages comiques ou la figure de la grande tragédienne muette. Il mêle les registres et sort de ses classiques opéras avec une pièce un peu plus légère en intégrant le mime, la danse, le théâtre dans un même élan.
Chaplin et Keaton sont les policiers qui traquent le Docteur Caligari, un des pionniers dans le meurtre en série : une sorte de gourou scientifique qui en maîtrisant son art manipule les autres pour faire le Mal. Une fable morale dans le pur style wilsonien qui, pour certains, est un exercice de style déjà vu et pour d'autres, est un nouveau coup de génie de l'une des figures majeures de la scène internationale. On ne peut pas nier le regard unique de Robert Wilson.
Textes : Serge de Jésus Carreira
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