DreamWorks - Aardman, une histoire d'hommes et de rêves
DreamWorks a mis 250 millions de $ pour que le studio de pâte à modeler (qui créé des poules aux œufs d'or) ne signe pas avec Disney. Jeffrey Katzenberg, le K de DreamWorks SKG, avait transféré le dossier dans son déménagement entre Oncle Picsou et E.T. Le deal, signé en 99, permet de produire 5 longs métrages. Chicken Run est le premier d'entre eux, lui-même co-produit par le frenchy Pathé.
Résultat : Chicken Run est à date le plus gros succès en animation de DreamWorks, dépassant Fourmiz et Le Prince d'Egypte. C'est aussi la recette la plus importante au Royaume Uni pour le studio, battant Gladiator et le Soldat Ryan. Pour Aardman, c'est du paté bénit. Pour passer du court au long, de la TV/vidéo au cinéma, rien de mieux qu'une association avec les as du marketing hollywoodiens. La France est un des derniers pays où Chicken Run sortira, juste avant les fêtes. Carton assuré.
Cependant ce n'était pas gagné d'avance. La pâte à modeler a beau séduire financiers et cinéphiles, le grand public connaît peu les (més)aventures de Wallace et Gromit et autres Rex. De plus les créateurs de Bristol souhaitaient conserver leur indépendance et travailler avec des gens respectant leurs visions artistiques. De Warner à la Fox en passant par Disney, il y avait plutôt un dialogue de sourds. L'une des " majors " a même voulu qu'Aardman fasse le film à Hollywood, loin de leur usine à pâte à modeler… Non sens total.
Indie et Hippie dans l'âme
Aardman a, en fait, capitalisé sa réussite sur un art abandonné, voire méprisé. L'art qui anime Lord et Sproxton est né d'abord de coupures de journaux. Puis Aardman, le superman de pacotille est programmée dans une émission pour enfants sourds, contre un chèque de 150 Francs Français. En 72, Aardman Animations naît. Aujourd'hui cette société de 28 ans a 80 salariés permanents, qui ont en moyenne… 28 ans. C'est aussi devenu un objet mythique en Grande Bretagne, devenant le premier studio d'animation du pays.
Ce qui les intéressait dans la pâte à modeler s'appelle le relief. La 2D devenait 3D. Qui plus est, plus personne ne pratiquait cette forme d'animation à l'époque, leur conférant un monopole et un indéniable savoir faire. C'est ainsi que naît Morph (personnage sympathique, gymnaste, cuivré et nu, avec un large sourire).
De la même manière, ils parient sur l'animation pour adultes (en cela ils rejoignent l'esprit de Katzenberg qui pense que le dessin animé n'est pas que réservé aux enfants). Channel Four, l'impertinente chaîne privée britannique, les suivra dans l'aventure.
Effet pervers de cette ascension méritée, les commandes se multiplient - les talents étant rares , Aardman ne peut pas satisfaire tous les publicitaires.
A leur mentalité de hippies, de gosses issus de l'après guerre et vivant leur jeunesse entre Beatles et Rolling Stones, s'est ajouté un esprit de gestionnaires rigoureux. C'est ce qui va leur permettre de voir loin et de survivre.
Central Park
Obligés de recruter, Aardman met la main à la pâte pour dénicher les meilleurs. Ils tombent sur un certain Nick Park. Etudiant, blondinet, introverti, repéré en 85, le Park va devenir la marque de fabrique de l'usine à rêves en pâte à modeler. Son projet d'études s'appelle A Grand Day Out. Les deux fondateurs de Aardman Animations l'aident à finir son premier film.
Le génie de Park est d'avoir inventé un couple improbable, nommé Wallace et Gromit. Un de ces couples homme/animal digne d'un Homer / Daffy Duck. Wallace est un british pur menthe, chauve, génialissime, avec cardigan en laine et cravate, accompagné de son fidèle chien Gromit, flegmatique, intellectuel, presque cynique. L'un n'ets jamais dupe de l'autre, mais par souci de l'autre, aucun ne se défausse. Formidable leçon de parité. 23 minutes en course pour les Oscars en 90. Nick Park a 32 ans. Il n'aura pas l'Oscar avec Wallace et Gromit cette année là. Il l'aura avec une autre nomination, dans la même catégorie, Creature Comfort, série d'interviews d'animaux de zoo. Fabuleux régal (ou réquisitoire) sur notre condition humaine.
Les deux épisodes suivants de Wallace et Gromit, toujours pris au piège par les machines infernales de Wallace, remplis de références cinématographiques, récoltent leur Oscar, chacun.
Nick Park devient co-directeur de Aardman Animations.
Le trio est donc Commandeur de l'ordre de l'empire britannique. La Reine fait 150 kms jusque chez eux pour visiter le studio. Pour l'anecdote, ma Reine (NDLR : l'auteur est sujet canadien) a retiré un gant pour tâter de la pâte.
Chaîne de valeurs
Aardman gagne de l'argent, mais on ne sait pas combien. En fait, la profitabilité des studios permet leur indépendance et de se concentrer sur la création, leur unique passion.
Désintéressés ? Artistes purs et durs ?
En tout cas, si eux défendent leur image de hippies seventies totalement voués à leurs créatures, beaucoup pense que la leur société, si elle était cotée en bourse, vaudrait une fortune.
Non content de cartonner au BO avec Chicken Run (on attend près de 500 millions de $ de recettes, salles + vidéos), ils ont remporté un vif succès avec la série Rex the Runt, à l'humour " so british ", diffusée sur la BBC et désormais vendue à plus de 10 pays. Les treize premiers épisodes sont actuellement négociés " aardamment " avec trois grandes chaînes US. 13 autres épisodes sont en train de se produire, pour un montant de 5 millions de $. Pour 130 minutes de film.
Mieux que cela, leur premier cartoon pour le web, Angry Kid, a déjà fidélisé plus de 300 000 internautes. Pas de quoi se mettre en colère. Les 25 épisodes de cet énergumène à la tignasse rouge ont coûté 500 000 $. Selon Michael Comish, le Président d'Atom, la série peut rapporté le triple en revenus publicitaires par an.
Eux ne subissent pas la pénurie de financement pour l'animation européenne, ni les graves secousses qui ébranlent Warner et la Fox dans leurs ambitions en matière de dessin animé.
Ca n'est pas du qu'à leur position de monopole dans le domaine de la pâte à modeler - il existe aussi Folimage en France, qui travaille en collaboration avec Aardman.
Aardman a un peu d'avance sur Folimage ; apte à dériver ses produits en mille et uns cadeaux (notamment Wallace et Gromit l'album de famille), Aardman a surtout signé avec Spielberg, engagé Mel Gibson pour son premier long métrage d'animation et fait des pubs pour Bonduelle, Perrier, ou même Daewoo (ces marques ont rapporté gros).
Ainsi, sans ses " activités commerciales " , Aardman ne pourrait pas assouvir ses rêves qui font faire " cheese ".
Les studios s'obligent à réinvestir 30% de ses bénéfices dans chacun de ses opus cinématographiques.
Au final, les chauves et les chiens se déclinent en jouets, posters, DVD, gadgets et livres…
La vente de détail rapportera environ 75 millions de $ cette année. Une année où Wallace et Gromit sort en salles, et le Chiffre d'Affaires peut doubler.
En route vers l'infini…
Internet comme support de distribution. Le cinéma comme nouveau vecteur de popularité. Les animaux d'Aardman ont de beaux jours devant eux. Dans un pays comme l'Angleterre où l'animation n'est pas reine (le Royaume Uni est le troisième producteur européen, loin derrière la France et l'Espagne, et ne verse quasiment aucune aide), Aardman fait figue de pépite parmi la soixantaine de petites entreprises dans le domaine.
Aardman investit donc dans un studio unique à bristol, regroupant les différents bâtiments disséminés. La production de leur second long a commencé. Le Lièvre et la Tortue a inspiré de nombreuses fois les créateurs de Bugs Bunny. On verra ce que Aardman va en faire. Ce sera en 2002. En 2003, ils nous promettent Wallace et Gromit le retour. Tandem doré qui pourraient faire du trio Park / Lord / Sproxton les Rois mages de l'animation européenne.
Vincy