6 clés pour comprendre l'AMI
Article Libération (16.02.98)
L'AMI est-il un bienfaiteur de l'humanité, comme le suggère Donald Johnston, secrétaire général de l'OCDE, ou une machine infernale menaçant les démocraties, comme le hurlent ses contempteurs?
Six questions-réponses pour comprendre ce débat à forte charge idéologique.1. Qu'est-ce que l'AMI?
L'accord multilatéral sur l'investissement, discuté depuis deux ans sous l'égide de l'OCDE, vise à mieux protéger les sociétés qui investissent hors de leurs frontières. L'accord interdit aux Etats de traiter les investisseurs étrangers plus mal que les investisseurs nationaux.
Des dizaines d'accords bilatéraux existent déjà en la matière, mais il s'agit ici de prévoir un cadre général et des possibilités de recours juridique contre les pays qui pratiqueraient une telle discrimination.
L'AMI interdit par exemple d'imposer à un investisseur étranger de recruter une part donnée de travailleurs locaux, de se fournir auprès d'entreprises locales, d'installer un siège social dans le pays d'accueil, d'atteindre un niveau donné de recherche-développement, etc.
L'AMI interdit également, en cas de privatisation, toute différence de traitement en fonction de la nationalité des investisseurs. Une fois le principe de non-discrimination posé, une liste de réserves, formulée par chaque pays, est dressée. Il y en a déjà un millier sur la table.
Les Etats fédéraux (Etats-Unis, Canada...) sont de grands ´réservistesª (300 pages pour les Etats-Unis contre 40 pages pour la France), leurs Etats fédérés ayant des législations très particulières.
Surtout, l'accord prévoit une indemnisation dès lors que l'investisseur subirait une perte ou un manque à gagner lié à une discrimination. Une firme se considérant comme lésée pourrait alors saisir soit les tribunaux du pays d'accueil, soit une instance internationale.2. Pourquoi la polémique?
L'accord, dans son esprit, vise à accélérer le processus de globalisation des économies. Après s'être attaqués aux barrières commerciales, les dirigeants des pays occidentaux souhaitent supprimer les obstacles aux investissements et mettre en place un cadre juridique commun.
Pour l'OCDE, la mondialisation des investissements est non seulement inévitable, mais profitable: elle permettrait une plus grande efficacité de l'économie et des échanges de technologie.
Pour les opposants à l'AMI, la globalisation est au contraire un processus sciemment organisé par l'école libérale qui a pour résultat de détruire les systèmes sociaux nationaux. Avant de s'installer, les grandes firmes font en effet jouer la concurrence entre les pays, et ce sont les ´moins-disantsª en terme social ou en terme d'environnement qui l'emportent...
´Regardez l'architecture de ce texte, commente Agnès Bertrand, militante à l'association Ecoropa et à l'Observatoire de la mondialisation. Tous les droits sont pour les firmes, toutes les obligations pour les Etats. Il s'agit d'une vaste opération de dérèglementation croisée.ª Les plus virulents contre l'AMI voient en lui le fossoyeur des démocraties, jugent qu'un tel texte permettra aux multinationales d'attaquer les règles adoptées par les pays (Smic, 35 heures, normes d'environnement...).
Ce que l'OCDE dément fermement: seule la discrimination pourra servir à fonder une action juridique, explique-t-elle.3. D'où vient l'AMI?
Dès les années soixante, les pays de l'OCDE se sont dotés de codes de l'investissement. Mais aucune procédure de règlement des différends n'a été prévue. L'idée d'instaurer une telle procédure a été explorée pendant les dernières négociations du Gatt (´l'Uruguay Roundª, qui s'est terminé par la création de l'Organisation mondiale du commerce). Mais les pays en développement ont bloqué le projet.
Les pays riches ont donc décidé de discuter entre eux: les pourparlers ont débuté en mai 1995. Depuis lors, des réunions ont lieu toutes les six semaines au siège de l'OCDE à Paris, entre les experts de chaque pays. En France, c'est une sous-direction du service du Trésor qui a suivi le dossier. En janvier 1997, les grandes lignes d'une base d'accord ont été consignées dans un premier texte confidentiel.
Un accord devait être signé avant la réunion ministèrielle de l'OCDE, prévue pour le 26 mai 1997. Mais, en mars 1997, les négociateurs, constatant leurs divergences, ont demandé un report d'un an. L'AMI a pour la première fois fait l'objet d'un échange de vues au niveau des ministres de l'OCDE en mai 1997 où Jean Arthuis représentait la France. Cependant, la discrètion sur ces discussions, considérée à l'OCDE comme un gage d'efficacité, est jusqu'à une date récente restée la règle.
L'an dernier, plusieurs associations américaines ont commencé à protester contre le projet de l'AMI. Parallèlement, les milieux du cinéma français, vigilants depuis plusieurs mois, ont alerté le gouvernement contre la menace que faisait peser l'AMI sur les aides à la production européenne. Ce mois-ci, le Monde diplomatique publie un article de Lori Wallach, militante américaine qui a fait sensation et réveillé le débat en France.4. Quelles conséquences l'AMI aurait-il sur l'audiovisuel?
Dans son principe, l'AMI condamne toute faveur qui serait réservée à des investisseurs nationaux. Les systèmes de protection et d'aides dont bénéficie l'audiovisuel sont donc concernés. Côté télévision: fin des quotas obligatoires de diffusion de programmes européens sur les chaînes de télévision, fin des obligations d'investissement des chaînes en faveur de la production nationale indépendante ou autre...
Menaces également côté cinéma: l'aide française est largement financée par une taxe sur le prix des tickets de cinéma, qu'acquittent donc les films américains (et étrangers en général) alors qu'ils sont exclus des subventions tant automatiques que sélectives... Les accords de coproductions ou les traités qui donnent des avantages spécifiques à certains pays devraient de même être étendus à tous.
Néanmoins, les négociateurs français du traité s'estiment relativement assurés de préserver dans l'AMI ´l'exception culturelleª reconnue lors des négociations du Gatt en 1994. Une exclusion générale de la culture et de la propriété littéraire hors du champ du traité? Cette solution ´optimaleª, qui n'avait pas réellement été obtenue lors du Gatt et qui exigerait l'unanimité des signataires de l'accord, ne semblait pas, jusqu'à ces jours derniers, réellement envisagée.
Tout en promettant la défense de ´l'exception culturelleª, le gouvernement s'orientait plutôt vers des clauses de ´rÈserveª, plus ponctuelles. ´Des grenades à main là ou il faudrait des missiles Exocetª, ont proclamé certaines organisations de cinéastes.5. Quelle est la position du gouvernement français?
Le gouvernement ne s'est exprimé sur l'AMI que depuis le barouf des professionnels du cinéma. Sur le fond, il participe à l'édification du nouveau cadre juridique international des investissements. Mais il a posé trois grandes conditions à la signature d'un tel accord: un, que la ´préférence communautaireª soit préservée (le fait de pouvoir différencier les entreprises européennes des entreprises étrangères).
Notamment en matière de pêche, d'agriculture, de transport et d'énergie. Deux, que la politique culturelle reste intacte (voir question précédente). Trois, que l'on profite de l'AMI pour interdire les ´lois extraterritorialesª américaines, qui autorisent Washington à sanctionner les firmes investissant en Iran, en Libye ou à Cuba.
Comme les autres pays, la France a soumis sa liste de ´réservesª. Paris tient notamment à préserver le régime de certaines professions. Ainsi, les convoyeurs de fonds, notaires, huissiers, propriétaires de cafés-tabacs et guides-interprètes sont soumis à des exigences en matière de nationalité.6. Quelle sera la suite des opérations?
Fruit de discussions entre fonctionnaires, le projet d'AMI comporte encore de nombreux pointillés que les responsables politiques devront remplir. Il devra faire l'objet d'un ´accord politiqueª au sein de la réunion des ministres de l'OCDE, avant d'être soumis à la signature et à la ratification de chaque pays. Dans de nombreux pays, comme la France ou les Etats-Unis, un feu vert du Parlement sera nécessaire.
L'ensemble du processus pourrait durer encore une ou deux années. Les pays n'appartenant pas à l'OCDE (pays en développement et ex-pays communistes) seront invités à rejoindre le club de l'AMI. L'objectif est ensuite de réduire une par une les ´réservesª mises par les différents pays.
Accord Multilatéral sur l'Investissement
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Courrier - Vincent Cyril Thomas / Christophe Train |
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