AMI Europe
L'AMI du peuple?

Par Vincent-Cyril Thomas (16.02.98)

Il a le droit de protéger ses artistes ou ses producteurs audiovisuels, de défendre, par exemple, le pluralisme culturel à l'échelle de la planète en équilibrant par des subventions publiques la domination hollywoodienne.
Dès lors que la liberté est garantie, que les frontières restent ouvertes, au nom de quoi faudrait-il s'interdire de corriger le marché sur la base d'une volonté collective librement déléguée?

Laurent Joffrin, Libération
Il a fallu une fois de plus l'initiative des cinéastes pour que l'opinion et le gouvernement français se réveillent et prennent conscience des enjeux de l'Accord Multilatéral sur l'Investissement.
Cet accord entre les pays de L'OCDE, c'est-à-dire les plus riches de la planète, avait pour objectif initial de permettre une égalité de traitement, une non-discrimination, entre les entreprises nationales et les étrangères.
En analysant plus loin les conséquences d'un tel accord, on pouvait imaginer, sans faire de politique fiction, que les entreprises allaient devenir des entités supérieure à l'Etat et aux droits de l'homme. Après la privatisation de nombreux services publics, ou même l'apparition de la notion de productivité dans certaines administrations, la République se transformerait en société privée, passible de poursuites judicaires en cas de grêves, lois diminuant le profit, ou obstacles au libre-échange.
Le marché plus fort que le droit. L'Economie, dictatrice de l'humanité. Un vieux rêve libéral.

La culture menacée...
"D'abord circonscrite aux groupes civiques et écologistes américains, la fronde contre cet AMI a gagné les milieux culturels français et canadiens, puis réveillé tous les critiques traditionnels de la mondialisation.
Au point que la signature de ce nouveau traité censé régir tous les types d'investissements transnationaux (industriels, financiers, fonciers, droits intellectuels...) paraît compromise.
" (Libération, 16.02)
Jean-Jacques Beineix, Bertrand Tavernier, le producteur Charles Gassot ont lancé la fronde à Goliath (aux allures de Gatt ressusicté). mais pour une fois ces artistes ont été rapidement suivis.
C'est notre avenir qui est enjeu. Veut-on vivre dans un monde où le mot social sera vide de sens? Dans un monde où l'uniformité culturelle, le monétarisme économique seront les dogmes de nos vies?
Beineix: "Cet AMI, si redoutable, cet accord négocié depuis trois ans dans l'ombre et le secret, sera, selon ses rédacteurs, la nouvelle charte de l'économie mondiale. Avec ce traité, toute création humaine serait assimilée à un investissement. Il n'y aura plus de morale, plus de culture, mais seulement la loi de l'investisseur, la loi du plus fort !"

La France et le Canada sur la même longueur d'onde...
En voulant libéraliser l'ensemble des échanges, en protégeant l'entreprise des règlementations juridiques nationales, les théoriciens de l'OCDE ont oublié un élément, le grand perturbateur de l'économie, du marketing, des études de marchés et des analyses prévisionnelles: l'Homme.
Depuis Keynes, qui avait réussi à imposer un compromis entre marxisme et ricardisme, avec pour résultat un certain succès dans la solution à la crise de 1929, aucune théorie économique n'est apparu. Depuis 1789, aucune théorie politique n'a réussi à percer. Notre siècle est vide, progresse à une vitesse vertigineuse, sans trouver d'équations adaptées à son époque.
Il y a 30 ans, alors que les cinémas étaient moins nombreux, les gens moins éduqués, l'information moins accessible, les américains allaient voir des films de Fellini, Lelouch ou Antonioni, même sous-titrés. Aujourd'hui, malgré les multiplexes, l'ouverture sur le monde et Internet, des films en langue étrangères ne sont pas diffusés dans plus de 400 salles nord-américaines. Et c'est une exception. "L'uniformité détruiera l'humanité plus sûrement que les bombes" (J.Attali, Il viendra).
Aussi, il est normal que le Canada et la France, soucieuses de leur culture, continuent de soutenir par des subventions ou des aides indirectes la création et ses artistes. Après tout que fait l'Amérique si ce n'est subventionner la Recherche et Développement de Boeing en passant des commandes militaires auprès du constructeur de Seattle???

Que condamne l'AMI?
L'AMI dénonce "toute faveur réservée aux investisseurs nationaux" (Libération). Cela concerne donc les subventions et systèmes de protection profitant à des secteurs comme l'audiovisuel.
Ce serait la fin des quotas, de l'exception culturelle (pourtant acceptée par L'OMC), la mise à mort de l'obligation de produire des programmes nationaux, .... En France c'est même tout le système de financement qui est remis en cause.
Pour chaque billet acheté dans une salle de cinéma, une taxe est prélevée, qui rassemblée dans une cagnotte, permet de produire des films locaux. Ainsi les 10 millions d,entrées de Titanic pourront aider 2 ou 3 premiers films français à voir le jour. Imparable et presque utopique. Pourtant ça marche!
Si l'AMI était signé, ce mécano s'écroulerait aussitôt. C'ets une des raisons pour laquelle le Canada et la France désire aplliquer une exception sur le secteur culturel dans ce texte international.

Tavernier, encore, toujours et tant mieux...
Tavernier: "J'ai été frappé de voir les politiques tomber des nues quand je mentionnais l'AMI. Ils ont abandonné le réel, le travail, ils l'ont délégué au chef de cabinet, qui l'a délégué aux experts... Il y a un film sur ça, en ce moment: Titanic. C'est le plus bel exemple d'économie insubmersible fabriquée par des experts. Sans une paroi qui tienne."
Il y a un an, et toujours durant le Festival du Film de Berlin, le mouvement anti-Loi Debré avait émergé grâce notamment aux coups de gueule de ce cinéaste réputé. A quand des documentaires sur l'impact des politiques monétaires en Asie ou sur les Monsieur Sylvestre de notre réalité.
Le gouvernement a changé depuis. Et la gauche semble plutôt timide sur ce dossier. Pourtant la France est, pour une fois, suivie. Et l'Amérique n'est pas en position de force, politiquement parlant. A deux ans de la campagne présidentielle, en pleines turbulences politico-juridiques, la puissance dominante s'arrangerait bien d'un report du traité. ou pire d'un passage bloc par bloc, puisque l'ensemble n'arrive pas à être digéré.
C'est tout le piège. Que ce texte soi-disant multilatéral, et en fait à sens unique (à pensée unique), s'infiltre articles par articles dans nos lois et nos constitutions. L'exception culturelle est donc indispensable à obtenir.

Où sont les politiciens?
Le gouvernement français ne s'exprime que depuis quelques jours, alors que l'AMI se négocie depuis 3 ans. Mme Trautman essaie de rétablir l'équilibre en s'exprimant dans un théâtre réquisitionné pour l'occasion et réunissant la profession dans son ensemble pour traiter des enjeux (néfastes) de cet accord.
On sait aujourd'hui qu'il y a 3 conditions pour que l'AMI soit signé:

1) la préférence communautaire est préservée
2) la politqiue culturelle reste inchangée
3) l'interdiction des lois extraterritoriales (Cuba, Iran, Libye) adoptées par les USA. Car ce n'est pas seulement la culture ou la notion de nation qui sont touchées par de tels textes, mais bien notre idée de démocratie.

Ce soir à l'Odéon...
La ministre de la Culture et des Communications, porte parole du gouvernement, ex-maire de Strasbourg (capitale de l'Europe) a spécifié son orientation politique ce lundi: "Le pluralisme exige de notre part de pouvoir conserver notre souveraineté en matière culturelle, que ce soit au niveau national ou européen", a dit Mme Trautmann. "Je refuse que la culture se dissolve dans un système économique international voué à l'uniformisation."
Jack Lang a déclaré ce matin à Libération: " L'exigence de l'exception culturelle va de soi. C'est un casus belli absolu. La France n'est d'ailleurs pas isolée: le Canada, divers pays de l'Union, sont sur les mêmes positions. Il faut remarquer, d'ailleurs, qu'il n'y a pas que l'audiovisuel qui soit menacé mais aussi la presse, les éditions numériques, le livre..."
Bien sûr les artistes défendent avant tout leurs droits, et de par leur position, leur liaison étroite avec les médias, savent faire entendre leurs voix.
Cependant, tous, nous sommes concernés. Bien au delà d'une simple Loi contre l'immigration, ce projet de l'OCDE menace toute les démocraties, tous les citoyens à disposer d'eux même, bref les droits de l'homme dans leur essence même. Ce serait Ricardo triomphant sur Voltaire, Smith vainqueur de Rousseau. George Orwell n'aurait pas cauchemardé mieux.




Accord Multilatéral sur l'Investissement
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Courrier - Vincent Cyril Thomas / Christophe Train


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