LE 3ème FORUM DU CINEMA EUROPEEN DE STRASBOURG

Collaboration Spéciale de Bruno Richaud à Strasbourg

« Les U.S.A. sont logiquement destinés à jouer un rôle prépondérant en Europe » déclarait Mickey Kantor, négociateur commercial américain du Gatt en octobre 1993. A cette époque, l'Europe avait réussi à préserver la réglementation audiovisuelle européenne existante en obtenant l'exception culturelle.

Puis vint le projet AMI. Il devait être signé en mai 1998.

L'A.M.I., (Accord Multilatéral sur l'Investissement), négocié dans le cadre de l'OCDE, est un traité économique à vocation mondiale, qui a pour but la libéralisation totale du marché, c'est à dire: libre circulation des capitaux, libéralisation des investissements, création de procédures de réglement de différends. Il vise à accorder à tout investisseur étranger dans un pays membre de l'OCDE les mêmes protections que les investissements nationaux. Aucune législation nationale européenne ne pourrait prévaloir sur l'AMI.

Dans tous les pays signataires, les Etats et les collectivités territoriales seraient invités à démanteler leurs législations sociales, économiques, culturelles, environnementales, etc... pour laisser place au « libre jeu des forces du marché ». Selon les termes de l'AMI, les seuls domaines qui échappent à la définition de l'investissement sont la police et la défense nationale. Les Etats seraient progressivement réduits à leur seule fonction de maintien de l'ordre. A travers l'ensemble de ses clauses, l'AMI accorde tous les droits aux investisseurs - essentiellement les sociétés transnationales industrielles et financières - et tous les devoirs aux Etats.

Prétendant établir la « constitution d'une économie globale et unifiée », l'AMI vise à placer la démocratie sous contrat privé.

« (...) les médias font partie intégrante de la démocratie. Si nous voulons que la démocratie se maintienne, il nous faut une politique européenne de l'audiovisuel solide, qui défende le droit au pluralisme, à la liberté d'information et à la diversité culturelle (...) » Mr Peter Pex - Président de la commission culture, de la jeunesse, de l'éducation et des médias du Parlement européen.

Une « pause » dans les négociations internationales autour des termes de l'AMI avait été obtenue suite à de vives oppositions citoyennes exprimées en particulier en France, au Canada, aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Belgique... Mais les négociations doivent reprendre les 20 et 21 Octobre 98 à l'OCDE (Paris)...

Le marché audiovisuel européen représente le 2ème poste d'exportation dans l'économie américaine. Le cinéma hollywoodien y réalise 80% de ses exportations, et les téléfilms américains occupent 60% des écrans de télévisions européens. A titre de comparaison, le taux de pénétration des films européens dans le marché américain est évalué à moins de 6%.

Face à cette force industrielle et idéologique, depuis 1996, le programme MEDIA II (Mesures pour Encourager le Développement de l'Industrie Audiovisuelle) de l'Union Européenne, est seulement doté d'un budget de 300 Millions d'Euros pour 5 ans et pour toute l'Union!! Ce budget représente aujourd'hui 0,06% du budget européen global, soit le dixième du soutien financier à l'industrie du tabac ! ! ! !......

L'AMI aurait pour effet de rendre inopérantes les quelques réglementations communautaires en matière audiovisuelle qui ont été mises en place si laborieusement depuis une dizaine d'années.

La « Clause du traitement national » obligerait chaque pays à accorder aux investisseurs étrangers les mêmes avantages que ceux consentis aux investisseurs nationaux. En France, le « Fonds de Soutien au Cinéma » serait alors accessible aux producteurs américains...

  • Avec la « Clause de la nation la plus favorisée », chaque pays devrait faire bénéficier les investisseurs étrangers des avantages consentis à des pays tiers par des accords particuliers. Tous les programmes européens d'aide à la création, MEDIA II, Kaleïdoscope, Eurimages... seraient ouverts à tous les pays qui ne font pas partie de l'Union européenne.

  • Avec « l'Obligation de résultat », un Etat ne pourrait imposer à un investisseur étranger un quelconque engagement concernant la manière dont il entend effectuer son investissement. La directive « Télévision sans frontière » qui définit des quotas de diffusion d'oeuvres européennes serait remise en cause.

  • Avec la « Protection de l'investissement », une partie contractante ne pourrait entraver l'exploitation, la gestion, le maintien, l'utilisation, la jouissance ou l'aliénation d'investissements réalisés sur son territoire. Aujourd'hui le producteur qui détient les droits d'une oeuvre ne peut pas l'exploiter sans l'autorisation de l'auteur (personne physique) et sans veiller au respect du droit moral. Le producteur américain, étant « auteur » dans son pays, pourrait revendiquer le même statut en Europe, bénéficiant par là de la titularité des droits.

    « (...) il ne s'agit plus de se battre pour une exception culturelle pour l'audiovisuel et la culture sur un mode défensif, qui serait de toutes façons remise en cause à chaque nouvelle négociation par les tenants de l'ultra-libéralisme. Cette approche n'a pas d'avenir. (...) » - Mr Manuel Gutierez Aragon (SGAE) - Extrait des conclusions du 5ème Atelier du 3ème Forum du Cinéma Européen de Strasbourg.

    C'est dans ce contexte que se sont tenus, dans le cadre du 3ème FORUM DU CINEMA EUROPEN DE STRASBOURG, 5 Ateliers de réflexion destinés à débattre des moyens à mettre en place afin de soutenir l'audiovisuel européen. Ils ont réuni professionnels, représentants du Parlement Européen et représentants de la Commission européenne.

    Le titre générique choisi pour ces Ateliers était révélateur : « Un Cadre Européen pour une Image Libre » ; an European Framework for a Free Image.
    Vous pourrez trouver quelques extraits (ainsi que l'intégralité des textes) des conclusions des Ateliers de Travail à la suite de cet article.

    Les conclusions de ces Ateliers ont été présentées au Parlement Européen lors de la « Journée du Cinéma de l'Union Européenne ». Informés des besoins de la profession, les responsables de l'Union Européenne, poursuivent ainsi dans la voie décisionnelle et législative la construction européenne du cinéma et de l'audiovisuel.

    En parallèle à ces Ateliers se déroulaient plusieurs manifestations.

    Villes et Cinémas organisait une réunion où plusieurs thèmes furent débattus en vue d'une grande conférence lors du Forum 1999,: « La violence des images induit-elle une violence du comportement? » « Le cinéma, réducteur de la fracture sociale? »...

    Média Salles, une initiative du Programme MEDIA II, dont l'objectif est de soutenir les produits audiovisuels européens dans les domaines de la distribution, la promotion et l'information, présentait son site Web.
    On y trouve les bases de données « European Cinéma On-line Database » (informations sur les films européens récents; sociétés de production, distribution et exportation; crédits techniques et artistiques; chiffres et résultats commerciaux de 2.800 titres et 4.900 sociétés), et « Les chiffres clefs du Cinéma Européen » (relevé annuel de l'exploitation cinématographique dans les pays européens).

    La manifestation cinématographique proposait des films à l'image du patrimoine et de l'actualité de la production cinématographique du vieux continent. Le PRIX AVENIR DU FILM EUROPEEN, récompensant des premiers ou deuxièmes long-métrages européens, fut attribué à Thomas Vinterberg pour son film Festen. Le Forum honora cette année le réalisateur allemand Volker Schlöndorff en lui remettant le PRIX EUROPE saluant une grande carrière cinématographique européenne.

    «Des images libres pour des spectateurs libres de leur choix, et non pas sousmis au seul matraquage publicitaire, à une idéologie dominante, à un modèle culturel unique! » selon Mr Pierre-Henri DELEAU - Délégué général du Forum du Cinéma européen de Strasbourg et ancien Directeur de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes.

    Les Ateliers de réflexion qui se tiennent dans le cadre du FORUM DU CINEMA EUROPEEN DE STRASBOURG sont un modèle de la concertation qui doit s'instaurer entre les professionnels et les représentants politiques et administratifs des institutions européennes. Malheureusement, on ne peut que déplorer le manque d'intérêt que semble susciter la défense de nos identités culturelles, et donc de notre avenir commun, aux professionnels de l'audiovisuel. En effet, rares étaient les producteurs, distributeurs, exploitants, réalisateurs, scénaristes, présents aux Ateliers de réflexion. Les thèmes évoqués les concernaient pourtant directement ou indirectement.

    De plus, les dates du Forum, qui se déroulait entre les Festivals de Deauville et de Toronto, étaient-elles mal adaptées au calendrier des professionnels de l'audiovisuel? Ou bien est-ce que le patrimoine culturel européen n'intéresse pas les européens...?

    La concurrence puissante d'autres industries audiovisuelles nous fait ressentir l'urgence de la mise en place d'une protection législative appropriée. Un cadre institutionnel est déterminant pour rendre possible l'émergence des talents européens et permettre aux images libres d'exister. Pour gagner, il importe de rendre la culture européenne concurrentielle, de renforcer les vecteurs de sa promotion et de sa diffusion, vers l'extérieur bien sûr, mais aussi vers l'intérieur de l'Europe. Sans pour autant porter atteinte à l'indispensable diversité qui constitue l'inépuisable richesse de notre culture: nous devons unir nos moyens sociaux, culturels et économiques... Nous devons créer, grâce à une collaboration étroite entre les pays de l'Union, mais aussi et surtout entre les professionnels de l'audiovisuel, un environnement pour notre industrie qui soit à même d'enrichir nos cultures européennes...


  • Courrier - Vincent Cyril Thomas / Christophe Train


    (C) Ecran Noir 1996-1999