MODELES ET ILLUSIONS ANCIENNES
" L'image sert à nous éclairer un peu dans le chaos que nous sommes "
Agnès Varda
Durant de longues décennies, le cinéma, lui-même, a construit des modèles d'identités, sous un regard exclusivement masculin. Ce qui caractérise, avant tout, le cinéma des réalisatrices tient dans ce qu'il incarne : une mise à jour, une réponse, une réaction à la lourdeur des modèles et codes, antérieurement véhiculés par le cinéma.
Le cinéma classique hollywoodien en est le plus fervent exemple : d'une part, parce qu'il s'est construit autour d'une multiplication de schémas dominants, fondés sur l'image de la domination patriarcale. D'autre part, parce que son principe de mystification des actrices a crée un processus d'identification, de proximité, d'autant plus extrême qu'il a cristallisé l'image qu'il donnait de la femme dans le Réel. Femme dominée, éternelle mère, femme enfant, réduite à comportement juvénile, femme naïve, femme fatale, femme traîtresse, adultérine… Bref : la sublime, la romantique, l'idiote et la garce. Dans le cinéma classique hollywoodien, l'actrice n'incarnait pas une femme, mais une image de femme : l'actrice hollywoodienne, mystifiée, n'avait de réel que ce qu'elle incarnait à l'écran. Dans une interview, accordée au magazine Life, peu avant sa mort, en juillet 1962, Marylin Monroe expliquait combien le public ne voyait pas en elle la femme et actrice qu'elle était, mais ce qu'elle représentait à l'écran : " Je comprends très bien que les gens veuillent se rendre compte que vous existez réellement ", confiait-elle, en évoquant les réactions d'anonymes qui la reconnaissaient dans les lieux publics.
L'exemple de Marylin Monroe, cette actrice mystifiée à outrance, est bien entendu un cas extrême. Mais il démontre parfaitement combien la femme dans le cinéma a longtemps été réduite à ne représenter qu'un panel de fantasmes. Une idéalisation de la féminité, de ses vices et vertus, qui a fait briller la femme en la matérialisant sous ses traits les plus inaccessibles.
Du modèle d'identité le plus rétrograde (réalisme poétique des années 30 et cinéma d'après-guerre) aux images d'émancipation féminine exclusivement sexuelle de la Nouvelle Vague, le cinéma français et européen a bien sûr, lui aussi, sublimé, fantasmé la femme et ses univers. Arletty, Orane Demazis, Michelle Morgan, Danièle Darrieux, Simone Signoret, Jeanne Morreau, Stéphane Audran, Romy Schneider, Sophia Loren, Anna Karina, Claudia Cardinale, Bernadette Lafont, Mireille Darc, Ornella Muti, … Et, bien sûr, Brigitte Bardot et Catherine Deneuve : amoureuses tragiques, mères maternantes, bourgeoises déchues, femmes incomprises, rêveuses, éternelles victimes ou encore combattantes virilisées, traîtresses ou diaboliques ; femmes de tête à la beauté froide, créatures libertines, … Une exploration de la féminité, une volonté de définition identitaire, dont le guide, un regard masculin, se heurterait plus ou moins mais forcement, un jour, à certaines limites. " Je ne comprends pas les femmes ", disait Marco ferreri, cinéaste du Néoréalisme italien, à la sortie de son film La dernière Femme (1976). Son œuvre passait pourtant par un hommage à la féminité, pour mettre en avant le malaise de l'homme contemporain. Ses propos, diffusés dans Les Cahiers du Cinéma (n°268-69), rendent compte, avec précision, des limites auxquelles le regard masculin a pu se heurter, en terme d'approche et conception de la femme à l'écran. " J'ai un vocabulaire masculin. J'ai été formé, éduqué dans une culture masculine. J'ai fait un discours masculin. " ajoutait-il. " Je pensais faire un film sur une femme, c'est pour ça aussi que ça s'appelle La Dernière Femme. Qu'est-ce que peut-être la dernière femme ? J'ai pensé avec ma logique masculine et je suis arrivé à faire un film sur : qu'est-ce que pense l'homme de la dernière femme ? ".
D'UNE IDENTITE AFFIRMEE…
A priori, qui, mieux qu'une réalisatrice, peut révéler l'identité féminine de manière authentique, expliquer comment les femmes perçoivent et vivent le monde qui les entoure ?
Nombre de femmes cinéastes font part d'une volonté de " filmer autrement ", d'ouvrir de nouveaux territoires. Nouveaux, dans le sens où, longtemps, ils ont été, ignorés, parce qu'inconnus ou tabous, mais pourtant bel et bien existants. Ces territoires sont ainsi de véritables espaces de vérités : il s'agit de rompre avec certains modèles d'identité archaïques ou illusoires, d'explorer le monde sous d'autres références, d'autres angles. Du simple désir de découvrir et montrer, à la volonté d'affirmer un parti pris, milles motifs font courir les réalisatrices. Pourtant, dans le sillage des mouvements féministes des années 60, de la Nouvelle Vague, de ses cinéastes comme Agnès Varda, Nelly Kaplan ou encore Margueritte Duras, on cantonne souvent les films de femmes dans une dimension strictement militante. Les tendances à vouloir systématiser leurs propos, dans un espace strictement revendicatif, sont importantes. Au printemps 2000, Dominique Cabrera, évoquait le point de départ de son film " Nadia et les hippopotames " : elle soulignait combien les films à caractère sociaux pouvaient partir de motivations, de sentiments, très variés et nuancés : " J'avais, en effet, envie de faire un film qui se passe dans l'histoire récente et collective. J'avais envie de transmettre le sentiment que l'on a raison de se révolter. Je ne sais pas si je suis une cinéaste militante. Mais je me définis comme une cinéaste impliquée. Chez les militants, j'admire la constance, de me pas se décourager, recommencer chaque jour, ne pas se laisser emporter par l'émotion d'un moment. Moi, je pleure dans les manifs ! ". (Synopsis n° 6, mars-avril 2000 ; propos recueillis par Laurent Delmas).
Les univers féminins, ou plutôt dits " féminins ", là repose toute la nuance, sont des thèmes chers aux réalisatrices. Mais ce fait avéré peut créer une certaine confusion : on tient souvent la thématique des films réalisés par les femmes (affirmation sociale, sexualité, vie amoureuse et familiale, maternité, regards féminins sur les hommes, …) comme objets, visées directes de ces films, au lieu d'y voir un vecteur d'expression pour aller au-delà. A la sortie de son premier film, La Bûche, en 1999, Danièle Thompson expliquait, à ce titre, combien le contexte familial, mis en scène, était, pour elle, un moyen de représenter fidèlement le monde : " La famille est la cellule de base à partir de laquelle tout découle. Parler et écrire sur la famille est une manière de nous raconter, tous. Une vision de l'humanité à travers l'histoire de la famille " (in Synopsis n°5, hiver 1999 ; propos recueillis par Ludovic Pion-Dumas et Laurent Delmas).
Dans un genre tout autre, Catherine Breillat plébiscite les thèmes du désir et de la jouissance sexuelle féminine ; mais elle vise bien autre chose : " Mes films ne sont pas de la provocation, mais une révolte. Celle d'avoir subi une éducation qui m'a rendue extrêmement puritaine. Dans la vie, je me conforme à toutes les inhibitions, toutes les culpabilités ". Plus loin, elle ajoute : " La sexualité est la plus grande violence aujourd'hui. (…) Les gens doivent comprendre que le cinéma, c'est de la fiction. Des désirs meurtriers, tout le monde en a. C'est très bien de canaliser, d'apprivoiser ces pulsions là, particulièrement quand on est adolescent, seul avec ses pulsions. Cette fiction évite le passage à l'acte. L'interdit de la violence incite à la violence " . (in Libération, 13 juin 2000 ; propos recueillis par François Armanet et Béatrice Vallaeys).
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