AU DEPASSEMENT DES TABOUS
" Les femmes sont assez audacieuses pour parler des choses de l'amour. Elles ont un point de vue plus acéré, et aussi moins de difficulté et de gêne à filmer les choses qu'elles ont écrites. Elles sont plus pugnaces vis-à-vis des acteurs et des actrices quand il s'agit d'obtenir ce qu'elles ont en tête. Tandis que les metteurs en scène hommes ont parfois tendance à renoncer devant la pudeur des acteurs et la leur. C'est toujours difficile, pour tout le monde, les scènes d'amour... Mais les femmes réalisatrices ne renoncent pas. Instinctivement, elles savent qu'il y a là quelque chose à donner que, peut-être, un homme ne pourra donner. "
(Catherine Deneuve, Télérama 2000)
Dépassements des clichés et préjugés, audace, levées de voiles sur des sujets sensibles : Catherine Deneuve interprète une femme alcoolique, dans Place Vendôme (Nicole Garcia, 1998) ; Coline Serreau dénonce les trafics esclavagistes de prostituées dans Chaos (2001) ; La vie moderne, de Ferreira Barbosa (1999) met en scène une jeune fille d'aujourd'hui voulant entrer dans les ordres ; Marilyne Canto incarne une jeune mère angoissée par sa récente maternité dans Le lait de la tendresse humaine (Dominique Cabrera, 2001).
Tout est affaire de codes ; de perception et d'évolution des modèles identitaires et sociaux, notamment en ce qui concerne les représentations de la masculinité, de la féminité et des relations hommes / femmes. Les réalisatrices font ainsi preuve d'une aisance absolue pour parler des tabous. Mais, on tend, par ce fait, à différencier, démarquer et quelquefois marginaliser leur cinéma. C'est oublier que la mise en lumière de tabous n'est pas un genre en soi et, surtout, n'est en rien quelque chose de typiquement féminin. La notion de " cinéma de femmes " ne serait-elle pas simplement liée à une différence dans la perception - la réception - de ce cinéma, parce qu'il est écrit et tourné par des femmes ?
MILLE CHAMPS ET MOTEURS POUR LE CINEMA
" S'il faut parler de cette question des femmes dans le cinéma, c'est justement pour passer vite à autre chose ".
Tonie Marshall
(in le Film Français n° 2796, octobre 1999)
Cinéma d'auteur, avant garde, militantisme politique, social, féminisme, sensitivité ou, à l'inverse, violence des images et des propos : on place souvent le cinéma des réalisatrices sous la bannière de ces termes. Comme s'il y avait un courant, une école cinématographique, un caractère propre, exclusif et standard au cinéma fait par les femmes. Mais on ne peut pas réduire un langage cinématographique à un unique moyen d'expression sexué. Surtout à notre époque.
Aujourd'hui, nombre de réalisatrices, telles que Nelly Kaplan ou Laetitia Masson, réfutent la notion de cinéma féminin : classificatrice, réductrice, cette notion fait abstraction de la singularité de chacune et sous-entend une configuration type des films de femmes.
Les réalisatrices ont ouvert de nouveaux territoires. Mais l'ouverture de nouveaux territoires n'est-elle pas l'essence même de la création artistique ? Leur regard, au féminin, a généré un souffle nouveau profitant à l'ensemble du cinéma. Aventures et personnages inédits, expression des rapports hommes-femmes en d'autres lieus que la seule dimension sexuelle, dépassement des clichés et tabous, … : en France et de plus en plus ailleurs, cinéastes hommes et femmes partagent aujourd'hui entièrement ces espaces de liberté créatrice. Tonie Marshall argumente (in Le Film Français n°2796, octobre 1999 ; propos recueillis par Sophie Dacbert et Patrick Caradec) : " Franchement, je ne pense pas que l'on puisse attribuer un sexe à un film, quel qu'il soit. Ou plutôt, cela ne m'intéresse pas de lui donner une spécificité féminine et encore moins de généraliser. Il y a tellement d'hommes qui ont cette part de féminité, parfois plus importante dans leurs films que dans ceux des femmes. Maintenant, c'est vrai que Breillat a construit son œuvre essentiellement sur le sens du plaisir féminin. Mais dire que ses films sont des films de femme, je ne crois pas. Et puis, il faut faire attention à ne pas nourrir nous-même le sexisme. Dans ce métier, nous avons besoin des hommes, comme ils ont besoin de nous ".
Parler d'un cinéma typiquement féminin nous figerait ainsi dans une approche purement formaliste et donc très limitative. Comme le souligne Diane Kurys : " Dit-on des réalisateurs qu'ils sont des cinéastes hommes ? ". Le cinéma des réalisatrices est un cinéma haut en couleurs. Il doit ainsi être considéré dans toutes ses nuances, par rapport à l'ensemble des dynamiques qui animent le 7è art ; et non vis à vis des objets et codes qu'il véhicule. Le cinéma a toujours été une affaire d'angles et de regards, motivés et nourris par autant de sensibilités qu'il existe de cinéastes, hommes ou femmes, de langages et prospections personnelles. Classer les cinématographies dans un genre, féminin ou masculin, apparaît ainsi aujourd'hui totalement vain. Ce serait oublier que faire du cinéma c'est, avant tout, un acte d'invention et de renouveau.
Sabrina
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